Syngué sabour, Pierre de patience

Syngué sabour, Pierre de patience, Atiq Rahimi, Éd. P.O.L, 2008
Afghanistan ("ou ailleurs" est-il noté en phrase liminaire), une femme s'occupe seule de son mari, allongé, qui respire encore mais n'a aucun autre signe de vie. Elle le soigne, le lave, récite les prières du Coran parce que, selon le mollah, les prières doivent sauver son mari. Petit à petit, fatiguée, elle commence à raconter à cet homme sa vie intime, ses pensées.
J'ai reculé longtemps le moment de lire ce roman pour je ne sais quelles raisons. Il m'a fait de l’œil plusieurs fois sans que je n'aille plus loin. Pareil pour le film que je n'ai pas vu alors que j'étais tenté. Puis, dans le cadre du club de lecture de la bibliothèque, pour septembre, chacun doit présenter un livre qu'il a aimé. La liste est hétérogène, j'avoue ne pas être attiré par beaucoup d'ouvrages. Lorsque l'on m'a présenté ce Syngué sabour, je l'ai pris d'abord parce qu'il me tournait autour depuis longtemps et ensuite parce que contrairement à ce que je croyais, c'est un livre peu épais.
C'est un bouquin pas banal : cet homme couché, blessé, aux bons soins et à la merci de sa femme. Dans la vie quotidienne, c'est évidemment l'exact contraire, la femme est à la merci des besoins, désirs de l'homme fussent-ils brutaux ou violents. Cette femme qui patiemment change la perfusion, lave et protège son mari tout en lui racontant sa vie intime et secrète malgré elle.
""Mais... mais pourquoi je lui raconte tout ça ?" Accablée par ses souvenirs, elle se lève lourdement. "Je n'ai jamais voulu que quelqu'un le sache. Jamais ! même pas mes soeurs !" Contrariée, elle quitte la pièce. Ses craintes résonnent dans le couloir ! "Il me rend folle ! il me rend faible ! il me pousse à parler ! à avouer mes fautes, mes erreurs ! Il m'écoute ! il m'entend ! c'est sûr ! il cherche à m'atteindre... à me détruire !"" (p.69)
C'est évidemment un récit très lent, sans action vu de la petite pièce de la maison dans laquelle le corps de l'homme est allongé. Cette pièce est en quelque sorte la narratrice : dès que la femme ou les quelques autres intervenants, dont ses deux enfants ou le jeune combattant bègue en sortent, le lecteur ne sait plus ce qu'ils disent ou ce qu'ils font. La femme doit le raconter à son mari pour que nous le sachions. Les mouches, fourmis et araignées apparaissent et vivent dans cette chambre qui nous décrit leurs faits et gestes. Le roman, malgré cette lenteur est écrit en phrases courtes, parfois nominales censées en théorie accélérer le rythme. C'est l'écriture d'Atiq Rahimi, originale, sèche, qui va à l'essentiel qui envoûte le lecteur. Avec un autre style, l'histoire pourrait paraître longue. Or, il n'en est rien : j'ai dévoré ce bouquin de 138 pages dans sa version folio sans pouvoir m'arrêter. J'aurais pu axer ma chronique sur les confidences de la femme, sur ses conditions de vie et celles plus générales des femmes afghanes, surtout celles des combattants ; j'aurais pu parler de ces hommes qui méprisent les femmes libres parce qu'ils ne peuvent les dominer, qui préfèrent profiter des femmes soumises ou en soumettre d'autres par la violence physique, sexuelle (le combat est toujours plus aisé contre un plus faible), tout, tout y est dans ce court livre et beaucoup mieux écrit qu'ici. Si vous ne l'avez pas encore lu, faites-le.
La fin m'a un peu déçu, mais pouvait-il en être autrement ? Mais revenons au tout début, les premières phrases qui m'ont aspiré dans ce roman :
"La chambre est petite. Rectangulaire. Elle est étouffante malgré ses murs clairs, couleur cyan, et ses deux rideaux aux motifs d'oiseaux migrateurs figés dans leur élan sur un ciel jaune et bleu. Troués çà et là, ils laissent pénétrer les rayons du soleil pour finir sur les rayures éteintes d'un kilim. Au fond de la chambre, il y a un autre rideau. Vert. Sans motif aucun. Il cache une porte condamnée. Ou un débarras." (p.15)
Babelio recense un grand nombre de critiques assez élogieuses dans l'ensemble.