Les successions

Les successions, Mikaël Hirsch, L’Éditeur, août 2011
Pascal Klein est un marchand d'art. Son père est un peintre reconnu. Un jour, sur une vieille photo, il voit un bout de tableau ayant appartenu à sa famille et qui était accroché dans la chambre de son père lorsqu'il était enfant. Lors de l'exode de 1940, ce tableau a disparu probablement emporté par les Allemands comme beaucoup d'autres œuvres d'art. Il sait que c'est un Chagall non répertorié. Il n'a alors de cesse de retrouver cette toile. Cette "quête existentielle" l'emmènera "à travers le temps et les lieux afin de trouver l'origine de la vocation picturale de son père et d'apaiser enfin sa frustration de n'être pas lui-même devenu artiste" (4ème de couverture)
J'avais beaucoup aimé l'écriture de Mikaël Hirsch dans son roman précédent, Le Réprouvé, même si j'avais émis quelques réserves sur le livre en lui-même. Oserais-je écrire que pour Les successions, je n'ai aucune réserve à formuler ? Oui, j'ose ! Ce livre est formidable de bout en bout. L'auteur pousse le talent à nous intéresser à la mutation du monde de l'art. D'abord les œuvres : "L'idée même de beauté paraissait obsolète. A quoi bon s'obstiner après Michel-Ange et Dali ? Les machines aussi pouvaient prétendre à une beauté, certes aléatoire et binaire, mais souvent convaincante pour les sens. Peu importait le résultat pourvu qu'il y ait une idée. Seule comptait à présent l'intention. Ce qu'il fallait avant tout, c'était creuser une veine encore inconnue, avoir un concept original, se démarquer du voisin par un procédé quelconque. Une fois la beauté considérée comme ringarde, le support avait sombré au profit de son explication. [...] L'originalité, en tant que credo, engendrait une surenchère inévitable." (p.35/36)
Ensuite, les acheteurs : "Pascal était pragmatique. Son intérêt pour les artistes et leurs œuvres était sincère, mais il savait par expérience que la sensibilité est intransmissible. Il avait affaire à des millionnaires un peu bornés et traitait avec eux sans mépris, de la manière la plus simple possible." (p.33) Le sujet m'intéresse d'autant plus que je l'aborde de manière récurrente avec un ami peintre surtout lorsqu'on rentre d'une exposition et que j'y ai vu des toiles blanches ou grises monochromes ou des œuvres que je juge sans intérêt et limite "foutage de gueule" (je suis très subjectif et direct, ce qui augmente ensuite la valeur de la discussion). Nous partons donc dans notre dialogue parlant comme Pascal Klein, d'idée plus que de beauté, de concept. Les cinquante premières pages du livre sont consacrées en grande partie à cette réflexion, qui continue ensuite tout au long de l'ouvrage.
Mais ce roman n'est pas que cela. Il est aussi "une quête existentielle" (4ème de couverture) : un homme qui n'a jamais communiqué avec son père et qui, à la fin de la vie de celui-ci tente enfin d'entrer en contact. Pas toujours facile, la communication fonctionne à condition d'être au moins deux. "Son affection était le fruit d'un travail, d'une décision mûrement réfléchie et non d'un simple lien de parenté. Forme étrange d'inversion des rôles, on pouvait dire qu'il avait reconnu son père, ou plutôt, qu'il l'avait accepté comme autre chose que son simple géniteur." (p.169) Il décide alors de retrouver le Chagall pour l'offrir à la vue de son père et à la sienne. Tous les deux le verraient ensemble, ils créeraient enfin un lien très fort.
Il y a encore autre chose dans ce livre, c'est la remontée dans le temps, et la biographie de Ferdinand de Sastres. Je ne sais pas si ce doux-dingue a réellement existé, mais quel formidable personnage de roman : au début du XXème siècle, il quitte l'empire financier paternel pour vivre une vie d'esthète, d'amateur d'art totalement iconoclaste. On peut trouver quelques traces de lui sur certains sites, mais oubliez-les et plongez immédiatement dans ce livre de Mikaël Hirsch qui vous détaille tout ce que je viens de tenter de résumer et qui recèle encore des tonnes de propos, d'idées et de belles phrases. Il y a tant à dire sur ce roman, je n'ai pas écrit la moitié de ce que j'avais envie de transmettre. J'arrête cependant mon laïus ici de peur d'être trop long et d'apparaître comme un exalté -j'en vois qui sourient et qui opinent. Attention, j'ai vos noms et une bonne mémoire !-, mais croyez-moi, voici un des romans de la rentrée littéraire 2011 (le cinquième pour moi) qui met la barre très haute, tant pour l'intérêt de l'histoire, pour la qualité de l'écriture que pour l'intelligence du propos.
Un autre avis : Fattorius.
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