Scintillation
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Scintillation, John Burnside, Métailié, août 2011
"Dans un paysage dominé par une usine chimique abandonnée, au milieu de bois empoisonnés, l'Intraville, aux immeubles hantés de bandes d’enfants sauvages, aux adultes malades ou lâches, est devenue un modèle d’enfer contemporain.
Année après année, dans l’indifférence générale, des écoliers disparaissent près de la vieille usine. Ils sont considérés par la police comme des fugueurs. Leonard et ses amis vivent là dans un état de terreur latente et de fascination pour la violence. Pourtant Leonard déclare que, si on veut rester en vie, ce qui est difficile dans l'Intraville, il faut aimer quelque chose. Il est plein d’espoir et de passion, il aime les livres et les filles." (4ème de couverture)
Livre très étonnant, qui balance entre un thriller, un roman noir, un roman racontant la vie désœuvrée d'adolescents mal dans leurs peaux et vivant dans un environnement particulièrement désagréable et un roman initiatique. L'usine est là, présente. Même désactivée, elle rythme la vie, le quotidien des gens ; les jeunes s'y retrouvent pour discuter, fumer, sniffer de la colle, boire et tout ce que vous pouvez imaginer. "On l'appelle l'usine chimique, parce qu'elle n'a jamais eu d'autre nom, même le terrain sur lequel elle se dresse n'est presque jamais nommé, une étendue de nulle part que les gens appellent parfois la presqu'île, bien que les adultes en parlent rarement, et quand ça leur arrive ils se contentent en général d'y faire allusion en disant là-bas." (p.77) Le gang local est lui aussi décrit, archétype du clan dans lequel il faut vouloir et pouvoir entrer. Seuls les jeunes sont en vie, leurs parents sont soit malades, soit totalement abrutis par le travail, la télévision. Et eux, bien sûr rêvent d'une vie meilleure, ne veulent pas faire la même chose que leurs parents qu'ils méprisent et haïssent. Dans ce monde excessivement noir, cinq garçons disparaissent sans que l'on sache qui les enlève et les tue et surtout pourquoi : "Cinq garçons de l'Intraville, un endroit dont tout le monde se fout, une ville polluée, décolorée, tout au bout d'une péninsule dont la plupart des gens ignorent (sic) l'existence sur les cartes. Cinq garçons : Mark Wilkinson, William Ash, Alex Slocombe, Stewart Riva..." (p.83)
L'écriture de John Burnside est très belle -je l'avais déjà beaucoup aimée dans Un mensonge sur mon père. Parfois, il se perd, où plutôt, je me suis perdu, dans des considérations, des digressions qui ont peu de rapport avec l'histoire. Parfois elles m'ont intéressé, parfois moins, alors, dans ce dernier cas, j'ai passé quelques paragraphes, sans scrupules.
L'écriture est souvent crue, directe : elle décrit des gens pas bien du tout, parfois avec humour : "Quand John est arrivé à la bibliothèque, j'étais presque à court de trucs à lire, l'étape juste avant les sniffs de colle et la délinquance juvénile. Ou, pire encore, les mémoires de célébrités." (p101/102)
Beaucoup de considérations philosophiques en lien avec la religion souvent, ce qui fait de ce livre un roman atypique :
"Son père souffrait trop. Ce qui est une drôle de tournure, à bien y réfléchir, parce que, s'il est possible de souffrir trop, ça signifie qu'on pourrait souffrir juste assez, ou trop peu. Quoique, en fait, quand on y pense, c'est sans doute exactement ça. Il est sûrement possible de souffrir trop peu. On peut sûrement être condamné à souffrir juste assez." (p.174/175)
Ou encore : "Quelqu'un comme Morrison ne peut avoir une âme à lui, car l'âme est intrinsèquement bonne, intrinsèquement propre, un bien emprunté à Dieu et à tous Ses anges, qui devra être restituée un jour, nacré, propre, intact. Cette idée met Morrison en colère et il a envie de dire à cet homme, ce garçon, qu'il se trompe, que l'âme est humide et sombre, une créature qui élit domicile dans le corps humain tel un parasite et s'en nourrit, une créature avide d'expérience et de pouvoir, possédée d'une joie inhumaine, qui n'a que faire de son hôte mais vit, comme elle doit vivre, dans une perpétuelle nostalgie défigurée." (p.263)
Livre profond, qui, selon Irvine Welsh -écrivain écossais (comme J. Burnside) qui m'est totalement inconnu, mais son avis est sur la quatrième de couverture- "va au-delà d'une histoire déconcertante et troublante pour éclairer les possibilités infinies du roman." Bien vu ! Bien dit ! Je n'eus point dit mieux !
Roman excessivement noir, sombre et angoissant dont il est difficile de sortir tellement l'ambiance décrite est pesante et prenante. Vous qui n'aimez que les romans légers, passez votre chemin ; vous qui aimez les romans denses que vous n'oublierez pas de sitôt, arrêtez-vous un instant sur celui-ci !
Quatrième lecture de la rentrée littéraire.
D'autres lecteurs : Sylvie, Mobylivres, Cuné.