Banquises
Banquises, Valentine Goby, Albin Michel, août 2011
Lisa part au Groenland. Elle part sur les traces de sa sœur Sarah, disparue sur la banquise vingt-huit ans plus tôt. Elle découvre la réalité de la vie des Inuits : chômage, isolement, réchauffement climatique qui change leurs conditions de vie. Elle loge chez une médecin française qui vit là-bas depuis plusieurs années. Plus qu'une recherche de sa sœur, ce voyage est enfin le moyen de s'affirmer seule, sans comparaison à Sarah.
Après Léna, de Virginie Deloffre, me revoici dans les glaces du Grand Nord. Ce coup-ci au Groenland. La rentrée littéraire est froide chez Albin Michel qui s'est mis au diapason des températures estivales 2011. C'est donc au chaud, à la maison sous la couette de préférence que j'ai lu ce roman. (Exit le hamac des trois lumières)
J'ai été emballé dès les premières phrases qui décrivent l'aéroport et l'attente de l'embarquement. Embarqué moi aussi, mais par l'écriture de Valentine Goby : phrases longues, déstructurées, triturées, hachées, virgulées, si je puis m'accorder ce néologisme. Rarement un auteur a autant usé de cette ponctuation !
"Des portes automatiques trouent çà et là le béton, laissant voir des portions de la route circulaire, silhouettes floues, carrosseries de voitures et de cars Air France mal détourés dans l'obscurité -dehors, à vingt mètres de ce boyau, invisible, le plein jour. Au niveau supérieur, loin à hauteur de la piste de décollage, des vitres étroites taillent des triangles, des quadrilatères dans le ciel cru, dans le talus d'herbe fluo, les barbelés, les fuselages d'avion." (p.9)
L'auteure dresse le portrait de cette famille qui se relève difficilement de la disparition de leur fille aînée (Sarah, 22 ans). Les parents passent leur temps à l'aéroport, à diffuser des photos, des avis de recherche. Ils laissent systématiquement quelqu'un à la maison pour ne pas rater un éventuel appel de Sarah. Lisa, 14 ans, doit se construire dans cette absence. Difficile d'exister pour elle aux yeux de ses parents, totalement obsédés par la disparition.
" Elle [Lisa] dort, anesthésiée, jusqu'à ce qu'une main tambourine à sa porte. [...] De l'autre côté de la porte, la mère et le père prêts à partir, sac à main, clés de voiture. Lisa jette un œil à la pendule, 7 heures trente, vous allez où ? A l'aéroport. Passer des annonces sonores, attendre dans les halls d'arrivée, faire la queue au comptoir Scandinavian Airlines, harceler les hôtesses, les douaniers, la police si Sarah ne se montre pas. Qu'elle reste à l'appartement, elle, surtout ne pas sortir il faut quelqu'un près du téléphone, qu'elle commande une pizza si elle a faim mais vite, pas de conversation prolongée, laisser la ligne disponible, à tout à l'heure." (p.51)
Elle va au fond de ses personnages, les ausculte, un peu comme Sylvie, la médecin exilée au Groenland qui devine les pathologies, les tumeurs en observant et en palpant, puisque non munie de scanner ; elle écrit aussi leurs peurs, leurs angoisses, leurs malheurs. Mais, malgré tout cela, je me suis un peu ennuyé dans le milieu du livre. Trop d'introspection qui tourne un peu en rond. La maman notamment est omniprésente, et sa dépression permanente est un peu trop décrite, trop présente par rapport à la vie de Lisa au Groenland et la recherche de sa propre personnalité. La perte d'un enfant est intolérable, insupportable, certes, mais je m'attendais plus à un roman initiatique pour Lisa qu'à un état des lieux de la dépression maternelle. Un peu beaucoup, un peu déprimant pour le lecteur aussi, surtout si l'on y ajoute, le froid glaciaire, la fin prévisible de certaines régions polaires. En plus, plus de soleil chez nous, alors que la glace fond aux pôles. Rien ne va plus ma p'tite dame. Tout fout le camp, on ne sait plus comment s'habiller (et il ne doit pas faire beau en mer = private joke, seuls quelques initiés, très rares, qui ne lisent pas forcément mon blog, comprendront. Pour les autres, je suis désolé, je n'ai pas pu m'en empêcher !)
Heureusement, la fin du livre revient sur Lisa et sur son séjour sur la banquise. Là, elle est en face d'une catastrophe écologique et humaine, et elle relativise ses propres tourments. Sa rencontre de gens dans la misère, dans des situations inextricables l'aideront à avancer.
Valentine Goby garde tout au long du livre son style nerveux et décousu, et même si parfois les phrases se font plus courtes, c'est juste un changement de ponctuation. Le point remplace la virgule, mais ni le rythme, ni le plaisir de lecture ne sont amoindris.
Un roman qui n'emporte pas totalement mon adhésion par sa trop forte propension à s’appesantir sur la détresse maternelle au détriment de la reconstruction de Lisa et de la description de son séjour polaire, mais qui, par son écriture m'a vraiment accroché.
Merci néanmoins à Albin Michel qui me permet de lire là mon sixième roman de la rentrée littéraire.
Interlignes à interrogé la romancière