Le sermon sur la chute de Rome

Le sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari, Actes Sud, 2012
Un bar dans un village de Corse, qui suite au départ de sa gérante, Hayet, va de Charybde en Scylla. Jusqu'à la reprise en mains par Libero et Matthieu, deux copains d'enfance, qui font venir des serveuses, proposent des plats régionaux. En apparence tout va bien, même si l'on sent bien que cette histoire ne peut qu'être tragique.
Lorsque je lis ici ou là des articles consacrés à ce livre, je m'aperçois qu'il y a différents niveaux de lecture. De l'analyse en profondeur à mon niveau de simple lecteur. Le titre se réfère à un sermon d'Augustin tentant d'apaiser ses frères à la suite de la chute de Rome, prise par les Barbares. Je ne vais pas vous la faire intello qui a tout compris au parallèle fait entre les vies des deux jeunes gens et la philosophie de saint Augustin. Je suis plutôt hermétique à cette discipline malgré mes efforts pour tenter de la comprendre. C'est sans doute mon côté matérialiste. Non, je me suis attaché à l'histoire, aux personnages et surtout à la somptueuse écriture de Jérôme Ferrari. Ses phrases sont longues, travaillées, permettent néanmoins de respirer de prendre des pauses. L'auteur excelle dans la tragédie, le sombre, mais la première partie de son roman est assez légère, voire même avec de vrais morceaux d'humour dedans, mais toujours avec distinction et un sens du verbe plus qu'évidents :
"Virginie n'avait jamais rien fait dans sa vie qui pût s'apparenter, même de loin, à un travail, elle avait toujours exploré le domaine infini de l'inaction et de la nonchalance et elle semblait bien décidée à aller jusqu'au bout de sa vocation mais, quand bien même elle eût été un bourreau de travail, son humeur maussade et ses airs d'infante la rendaient totalement inapte à accomplir une tâche qui supposait qu'on entretînt des contacts réguliers avec d'autres êtres humains, fussent-ils aussi frustes que les habituels clients du bar." (p.27/28)
La seconde partie, dès lors que Libero et Matthieu sont au commande du bar devient plus sombre et l'on sent bien que la tragédie est imminente. Ces deux jeunes gens qui ont préféré arrêter leurs études de philosophie pour un travail dur et éprouvant ne s'y sentent pas si bien. Et puis, à l'instar de son grand-père Marcel, qui n'a jamais été accepté nulle part, Matthieu reste un étranger, même s'il force son accent. Il en fait des tonnes pour tenter de se faire accepter, et sans doute pour se faire croire à lui-même qu'il est ici à sa vraie place. Libero quant à lui est sarde, c'est à dire jamais à sa place, hors l'île natale, un pas grand chose, habitués que sont les Sardes à entendre toutes sortes de propos racistes et dégradants.
Les personnages, qu'ils soient au premier plan ou au second sont très bien décrits, parfois dans leurs physiques et dans leurs attitudes et comportements, parfois sans le physique. Les liens entre eux sont disséqués : il se soutiennent, se détestent, s'aiment, se quittent, se retrouvent. Matthieu est l'image de celui qui ne vit que pour lui et dans le moment présent : "Il croit toujours qu'il suffit de détourner le regard pour renvoyer au néant des pans entiers de sa propre vie. Il croit toujours que ce qu'on ne voit pas cesse d'exister." (p.195/196). L'enfant gâté qui obtient ce qu'il veut, même aux dépens des autres. Comme un petit enfant qui croit que son jouet -ou son parent- caché est perdu ou qu'il n'existe plus.
Le contexte est là aussi présent bien qu'esquissé assez rapidement : les deux guerres mondiales s'agissant de Marcel, le grand-père, la décolonisation, la Corse qui change, les mœurs qui évoluent. Le point central de ce roman étant la vanité, tant dans son sens d'orgueil que dans celui de futilité, des constructions humaines. A la fin, elles apparaissent pour ce qu'elles sont, lorsqu'elles ne sont pas détruites, des velléités, des élaborations vides.
Voilà, je suis sans doute passé à côté de la partie philosophique de ce texte, mais point à côté de sa beauté. J'avais été secoué par Un dieu un animal de Jérôme Ferrari et je peux redire ici que j'adore son écriture, son art de faire de très belles et longues phrases.
D'autres avis plus ou moins enthousiastes ou mitigés : Jostein, Kathel, Zazy
Dernière minute : Le sermon sur la chute de Rome a reçu le mercredi 7 novembre 2012 le prestigieux Prix Goncourt. Très largement mérité, un beau Prix, qui récompense un styliste hors pair, ce qui n'est pas le cas tous les ans.