Meurtre au château , Yves Jacob, Presses de la cité, 2012
Normandie, près de Falaise, dans le petit village de Fresné-la-Mère, début du XXe siècle, le baron Maxime de Couvrigny vit dans son château, entouré de sa femme et de leurs quatre enfants. Seulement l'atmosphère n'est pas au beau fixe, Marguerite de Couvrigny, la baronne est alcoolique, ne se lave plus, néglige tous ses devoirs. Elle est d'une nature sexuelle généreuse pour se faire payer à boire par des inconnus, mais aussi avec ses domestiques, jeunes filles esseulées. Le baron tente de faire bonne figure au milieu des siens et de la population locale, mais une telle ambiance, chacun le sent, engendrera un jour ou l'autre une tragédie.
Yves Jacob part d'un fait réel. Un meurtre au château de Fresné-la-Mère, en 1912. Il reproduit même certaines lettres, certains passages avérés. Il n'invente rien sur les faits minutieusement décrits. Là où son rôle de romancier intervient, c'est dans les personnages. Il se glisse tour à tour dans la peau des uns et des autres pour tenter de recréer l'atmosphère du moment, pour cerner les tentations et les raisonnements qui vont pousser au meurtre.
A la manière d'un numéro de l'émission de télévision Faites entrer l'accusé , il raconte les circonstances, l'environnement, tous ces petits événements qui, mis bout à bout mènent certains à l'assassinat. Mais, Yves Jacob évite le côté pesant de l'émission. Au contraire, il pose son œil et sa plume alertes (un œil alerte ???) et ironiques pour décrire des scènes pathétiques. Il vole dans la première partie du roman une certaine légèreté en opposition au thème du bouquin, qui s'échappe totalement dès qu'on entre un peu plus dans le château. On l'attend le meurtre annoncé dans le titre. On l'attend car il tarde à venir. Mais sans impatience, car en son absence, on a notre lot d'aventures, de coucheries, d'aléas de la vie d'une famille de châtelains désargentée avec madame la baronne en pochtronne en chef ! On en est presque à redouter qu'il survienne ce meurtre et à émettre des hypothèses sur le nom de la future victime : le baron ? la baronne ? Rouillère, le journalier ? la petite bonne délurée ? Robert, le fils aîné ? Et quid de l'agresseur ? J'aurais pu m'éviter toutes ces interrogations en lisant la quatrième de couverture, qui bien que peu explicite donne un indice certain sur le nom de la victime, mais c'est une chose que je ne fais que rarement, ce qui, comme vous pouvez le constater, me procure du suspense supplémentaire. Et puis, le meurtre survient. Après une préparation active pour que le tueur soit efficace. Puis l'enquête et le procès.
Un petit bémol quand même au milieu de ces compliments ? Celui-ci peut-être : plus j'avançais dans ma lecture, plus je pensais que l'auteur exagérait un peu et qu'il caricaturait ses personnages : la baronne en alcoolique finie, aux mœurs débridées (et c'est un euphémisme), Robert le fils aîné, haineux en proie à des pulsions sexuelles, Marie-Louise, la jeune bonne délurée, le baron un homme apprécié par les gens (hormis sa famille) pour sa bonté, sa bonhomie et sans doute par pitié aussi. Mais que nenni ! Car, dès que j'ai refermé le livre, je me suis précipité (enfin, point trop rapidement quand même, pas échauffé, je pourrais me faire du mal) sur Internet pour y faire des recherches sur ce meurtre, et là, quelle ne fut pas ma surprise de lire que les personnages auxquels Yves Jacob redonne vie étaient tels qu'ils les décrit. Certes, il prévient bien le lecteur dans un préambule : "Je n'invente rien. Chaque scène que je décris, avec la liberté créatrice de l'écrivain, a été au départ transcrite avec une froide et implacable précision dans les interrogatoires et confrontations établis par les magistrats penchés sur cette affaire. Une fois encore, la réalité dépasse la fiction." (p.11), mais le voir écrit dans des documents d'époque (un article du Petit Parisien , notamment) l'innocente totalement du délit d'exagération.
Je n'ai donc plus rien à reprocher à Yves Jacob ; il vous reste donc à lire cet excellent roman qui montre qu'il n'est parfois point besoin d'aller chercher bien loin les idées pour construire une histoire policière sordide mais passionnante. Une telle histoire inventée par l'auteur et on crierait à l'incroyable, au manque de véracité.
Merci Laura et Yves Jacob pour la dédicace.