Le poisson mouillé
Le poisson mouillé, Volker Kutscher, Ed. Seuil, 2010 (traduit par Magali Girault)
Berlin, mai 1929, Gereon Rath, jeune commissaire de police vient d'arriver de Cologne : une mi-mutation/mi-sanction. Il est nommé à la brigade des moeurs, considérée à l'époque comme le parent pauvre de la police. A cette époque, Berlin est sens-dessus-dessous : les communistes manifestent partout en ville, réprimés sévèrement par la police.
Et puis, un cadavre est repêché dans le canal. Personne ne le connait, sauf Gereon qui a déjà croisé cet homme de son vivant. Il s'agit d'un exilé russe. Rath décide, dans l'espoir d'être muté à la criminelle, d'enquêter pour son propre compte, avant que cette histoire ne rejoigne les dossiers non élucidés, surnommés ici, "les poissons mouillés".
Lorsque Suzanne, de chez les filles, et l'éditeur (qu'ils en soient remerciés) me proposent ce livre je dis triplement oui : d'abord le pays m'intéresse, ensuite, les années 20, avant la montée du nazisme, me semblent une période propice à de nombreuses machinations et un excellent contexte pour des histoires, et enfin, la naissance d'un flic appelé a être récurrent m'attire toujours. Passons sur le titre que je trouve mauvais voire très mauvais. Heureusement pour moi, c'est la seule chose du livre qui le soit. L'auteur plante rapidement le décor : les manifestations des "rouges" dans le Berlin de mai 1929, la terrible répression, les émeutes, la police débordée. Les gangs mafieux (ici appelés "Ringverein") qui pullulent et règnent sur les commerces de drogue et de sexe ; la pornographie, photos et films qui se développe mais qui est activement réprimée par la brigade des moeurs. On sent et l'on voit au gré de l'avancement de l'histoire la montée du national-socialisme, l'apparition des croix gammées au grand jour. Le contexte historique est très présent, qui alourdit l'atmosphère du livre, l'opacifie et la densifie.
Surviennent alors des cadavres qui pourraient être oubliés, mais pas pour Gereon Rath. Il est jeune, ambitieux, quasiment prêt à tout pour revenir en odeur de sainteté et retourner à la brigade criminelle que tous considèrent comme l'élite de la police. Le personnage n'est pas blanc-blanc. Volker Kutscher n'en a pas fait un flic pourvu de toutes les qualités. Tant mieux ! C'est plus intéressant de voir un flic se planter, tenter de corriger ses bourdes, tant professionnelles que personnelles que de le voir toujours tout réussir ce qu'il entreprend. En cela, il est plus proche de nous. Malgré ses défauts, on s'attache à lui et on aimerait bien quand même qu'il réussisse à boucler son enquête, mais ça, vous ne le saurez que si vous lisez ce livre jusqu'au bout (566 pages, tout de même, moi qui n'aime pas les pavés, je suis servi !).
L'intrigue est un peu embrouillée (à causes surtout du grand nombre de personnages qui intervient) , mais toujours compréhensible grâce à quelques rappels fort judicieux, lorsque le commissaire s'interroge sur le déroulement des événements. Une petite histoire d'amour par là-dessus et tous les ingrédients sont réunis pour nous faire passer un long et très agréable moment. La seconde aventure de Gereon Rath (c'est bon signe alors, au moins, il ne meurt pas !) est en cours de traduction, titre provisoire : La mort muette (c'est mieux !). Je suis partant pour celle-ci aussi.