L'été des serpents
L'été des serpents, Henri Cueco, Ed. Hugo et Cie, 2012
Henri Cueco raconte ses années de guerre. Il grandit, passe de l'enfance (9 ans) à l'adolescence (15 ans) dans une période difficile et néanmoins pleine de découvertes. Celles bien sûr qui concernent les nazis occupants mais aussi et surtout celles se rapportant au changement de son corps et par dessus tout à celui des filles.
Pour moi, le postulat de départ était une chronique des années de guerre comme je viens de l'écrire plus haut. Or, là, je me trouve essentiellement dans une chronique d'un vieil homme se souvenant avec une grande nostalgie de la découverte de son corps et de celui des filles changeants à l'adolescence. Rien de particulièrement choquant, certes, mais un peu répétitif et une espèce de libidinerie permanente, compréhensible à cet âge-là mais un tantinet agaçante pour le lecteur quarantenaire que je suis. Peut-être suis-je traumatisé par ma propre adolescence, Freud pourrait sans doute nous en dire plus, mais j'ai perdu son numéro pour la consultation ? Peut-être suis-je devenu cul-pincé avec l'âge (je ne vous cache pas que cette option n'a pas ma faveur) ? Ou peut-être ne suis-je pas adepte de ceux qui ne parlent que de "ça" (ouh la Yv, ce diminutif entre guillemets est bien la preuve de ton cul-pincé !), tout simplement ? C'est effectivement le propos principal du bouquin, mais le souci c'est que moi je n'ai pas accepté ce partenariat éditeur/Les Agents Littéraires pour lire un tel livre.
C'est d'ailleurs dommage, parce que lorsque que Henri Cueco sort des pelotages, des baisers et des histoires de vestiaires ou de toilettes de cour d'école, il écrit des choses formidables :
"J'ai quinze ans à la fin de la guerre. L'aventure de la mort héroïque est terminée. Il va falloir apprendre à mourir de maladie et de vieillesse. C'est jeune pour mourir vieux."(p.11)
Même lorsqu'il parle des filles il écrit bien (je lui reproche surtout son radotage) : "En ce temps-là, les jambes, les cuisses, les bottes, les lacets d'espadrilles, les reins, les hanches, la pâleur, tout était dans l'ombre. Les filles demeuraient à l'ombre des couloirs, dans le noir. [...] Nous, on avait des sortes de courts-jus dans les veines, du sang courant, des poussées vers on ne savait quoi, des surtensions à péter les lampes, les envies de sauter jusqu'au ciel, d'annuler le poids du corps." (p.87)
Et puis, et puis, il y a la formidable idée qu'a eue l'auteur d'écrire en en-tête de ses chapitres, des textes, plus ou moins longs sur sa vie actuelle, sur ses amis, ses petits-enfants, ses voisins, la vie de son village et parfois des souvenirs de cette guerre. Alors là, je dis bravo. Je dis même mieux, je dis qu'il eût mieux valu mettre ces textes en valeur pour l'accroche du bouquin, parce qu'ils sont excellents, comme de toutes petites nouvelles à suivre ou pas. Une écriture simple, directe, poétique parfois. En fait, pour moi, ils sauvent le bouquin d'un ennui menaçant. Pour être moins négatif (que voulez-vous, je suis un éternel optimiste, on ne se refait pas), je dirais même que ce sont ces passages et l'écriture générale de Henri Cueco qui sauvent ce roman. Ses phrases sont triturées, très ponctuées, elles alternent du vocabulaire simple, parfois un peu plus élaboré, voire inventé, des néologismes quoi (voyez-là mon admirable mansuétude -le mot de la langue française préféré de Claude Hagège ; eh, c'est pas la classe de citer un linguiste dans un billet qui ne se rapporte pas à lui ?- qui utilise un mots savant en en donnant la définition tout de suite accolée) avec des mots grossiers, des "gros mots" comme on disait, petits.
Il m'est d'ailleurs difficile de citer des extraits, d'en sortir un seul alors que tous sont très bons, ou un seul un peu long, mais vous me pardonnerez certainement :
"Ils ont souillé, humilié des enfants... Pourquoi ai-je si mal ? Petit enfant juif je suis ? Abandonné. Plus jamais torché, souillé, petit humilié, moi aussi, humilié petit. Tu ne comprends pas, petit ? Ta merde et ta faim t'ont fait bête. Ma cigarette tremble un peu. Milicien je suis. Juste le temps de souffrir, petit, ta casquette est trop grande, tes yeux s'agrandissent encore. La morve te coule sous le nez, tu dégoûtes, la pitié s'enfuit à ton odeur. Tes yeux grandiront encore à la découverte de ce qui t'attend. La faim, la douleur, l'abandon, la peur, la solitude, la mort d'étouffement dans les bras de la première mère qui se trouvera près de toi. Je suis si enfant. Tiens-moi, madame. Un parfum de tétée flotte alentour de tes seins nus, je te serre comme une amante-mère. Maman, j'étouffe." (p.153)