Le lanceur de couteaux
Le lanceur de couteaux, Steven Millhauser, Albin Michel, 2012
Recueil de douze nouvelles, sortes de mini-romans, sans chutes. Elles sont contemplatives, descriptives, oniriques. Pas toutes passionnantes, elles ont cependant un petit je-ne-sais-quoi qui retient le lecteur : une originalité ou un brin de folie ou de rêverie qui leur sied bien. Les cinq premières sont celles qui m'ont le plus touché :
- Le lanceur de couteaux : "Lorsque nous apprîmes que Hensch, le lanceur de couteaux, s'arrêterait dans notre ville pour une unique représentation le samedi soir à huit heures, nous fûmes pris d'hésitation, incertains de nos sentiments." (p.9) Une nouvelle assez étonnante sur un numéro de lanceur de couteaux qui repousse les limites de son art pour le plus grand plaisir et en même temps la plus grande gêne de ses spectateurs.
- Visite : "Ce n'est que lorsque je m'approchais, dans la pénombre de cette après-midi, que je vis qu'y était installée une très grosse grenouille, haute d'environ deux pieds, assise la gorge posée sur le rebord de la table. "Ma femme", dit Albert, en me lançant un regard farouche, comme s'il était prêt à me sauter au visage." (p.37) Un homme rend visite à un ami qu'il n'a pas vue depuis 9 ans. Celui-ci lui présente Alice, sa femme, une énorme grenouille.
- Les sœurs de la nuit : La nuit, une société secrète composée de jeunes filles se forme dans la forêt. Des rumeurs courent alors sur ces filles, les peurs, les ressentiments, les désirs de vengeance remontent. Très bien vu parce que les narrateurs sont différents et que chacun donne son point de vue ; comment peut se former une rumeur et monter les intolérances.
- L'issue : un homme est surpris dans la chambre de sa maîtresse par le mari d'icelle au moment où il se rhabille venant de mettre fin à leur relation adultère. Le lendemain, il reçoit la visite de deux amis du mari bafoué qui lui proposent une rencontre avec lui.
- Tapis volants : un jeune garçon devient un adepte du tapis volant, un vrai bon pilote. Il se sent grisé par ces sorties interdites.
Je m'attarde un peu sur ces cinq nouvelles parce ce sont pour moi les plus marquantes, mais les autres ne sont pas mal non plus. Plus longues et un peu plus bavardes pour une ou deux d'entre elles (donc pour vous mesdames ! Macho, hein, mais il faut bien que je fasse du buzz !), mais sur les douze, c'est assez peu et les autres vous feront passer un moment particulier, assez rare dans des nouvelles.
Toutes ont en commun d'être très bien écrites : du vocabulaire, de longues phrases bien travaillées (merci le traducteur Marc Chénetier) qui les rendent ou intemporelles ou difficilement datables (ça c'est peut-être un néologisme : eh, moi aussi, j'en connais des mots !). Certaines m'ont paru se passer dans un temps ancien (19ème ou début 20ème) alors qu'elles sont contemporaines : ce hiatus (je peux mettre ce mot-là ?) me plaît bien, on a à la fois le plaisir de lire une nouveauté et l'étrange sensation de lire un ouvrage de ces dates-là.
A découvrir pour ceux qui, comme moi, ne connaissent pas encore Steven Millhauser
Merci Aliénor.