Dans la nuit brune
Dans la nuit brune, Agnès Desarthe, Éd. L'olivier, 2010
Jérôme, quinquagénaire vit dans une ville de Province, tranquillement avec Marina sa fille. Paula, son ex-femme est partie quatre ans auparavant vivre dans le sud de la France. Lorsque Armand le petit ami de Marina se tue à moto, Jérôme ne sait plus quoi faire. Comment consoler Marina ? Comment se comporter avec Paula qui revient le temps de l'enterrement ? Comment éviter que les interrogations de ses propres origines, lui, l'enfant des bois trouvé par un couple qui l'adopta ne resurgissent ? C'est alors qu'apparaît dans sa vie Alexandre, flic retraité dont la marotte est de s'occuper des affaires de disparitions d'enfants.
Étonnant roman qui oscille entre réalité et onirisme, entre la vraie vie et le conte. Jérôme doit faire face aux obligations de la vie quotidienne : les commissions, les repas, le ménage, son travail à l'agence immobilière, mais dans le même temps, il n'est pas vraiment dans la vraie vie. Son truc à lui, c'est de se rouler dans les feuilles, de sentir les parfums de la forêt, d'être en osmose totale avec les arbres, les odeurs sylvestres. Il n'est pas équipé pour les difficultés de la vie, la moindre broutille lui est difficilement surmontable, alors un décès qui touche sa fille, c'est dire s'il ne sait plus s'il doit et comment agir.
Agnès Desarthe construit une galerie de personnages à facettes. Chacun a son histoire, sa propre vie et sa propre inadaptation au monde réel ou supposé tel. Que l'on prenne Jérôme mais aussi Alexandre ou Rosy, l'amie de Marine, médium, ronde et pas aimée par ses parents ou encore Vilno, l'Écossaise mystérieuse que Jérôme rencontre à l'agence... Tout cela fait une sorte de conte, une histoire sur un ton à la fois comique, décalé et mélancolique. Beaucoup de tendresse, d'amour, de bons sentiments, rien que des notions surannées de nos jours dans la littérature mais qui font du bien dès lors "qu'en termes galants ces choses-là sont mises" (allez, soyons fous, je pique à Molière).
Avec des phrases très courtes ou longues, mais alors très ponctuées Agnès Desarthe donne du rythme à son récit qui pourtant n'en a pas. Rien ne se passe vraiment, il n'est pas d'événements ou de rebondissements soudains. Même si des questionnements, des besoins de réponses tenaillent Jérôme, même si des théories sont échafaudées, démenties puis avérées ou le contraire, même si Alexandre enquête, on n'est pas dans un polar ou un thriller trépidant. C'est un des paradoxes du livre si l'on ajoute ceux énoncés plus haut comme le balancement entre réalité et rêve ou conte ou celui entre la mélancolie et l'humour, puisque j'ai appris à l'école -qui a dit, il y a longtemps ?- que des phrases courtes donnaient du rythme.
"Paula frappe à la porte. Personne n'ouvre. Elle sonne. Pas de réaction. Elle donne des coups de pieds, des coups de sac, elle appelle, elle crie. C'est une nuit glacée. Le taxi a mis longtemps à trouver à cause du brouillard. Pas une lumière allumée dans ces maisons de bouseux. Vingt-trois heures trente et tout est mort déjà. Quelle plaie. Elle aurait dû prendre un hôtel à Besançon. Elle frappe, cogne et crie de nouveau. Quel con, mais quel con, pense-t-elle." (p.26)
Pour être complet, je me dois de dire que j'ai décroché un petit peu au milieu du livre (en gros entre la page 110 et la 140), lorsque Agnès Desarthe s'intéresse un peu plus à Alexandre. C'est un petit peu long. Mais, les dernières pages ont capté de nouveau toute mon attention et j'ai fini ce roman avec le même esprit que je l'avais débuté. Fâché avec Le principe de Frédelle, je renoue donc avec bonheur avec cette auteure dans le cadre du Club de lecture de la BM.
PS : trop long pour être cité ici dans son entièreté, je vous conseille le passage dans lequel au retour de Paula, lors de l'après-dîner qui fut très arrosé, Jérôme et Paula font l'amour ; Jérôme remonte alors le temps de sa vie jusqu'à la rencontre avec celle qu'il épousera : mon passage préféré du bouquin, simple, beau, émouvant.