Les échoués
Les échoués, Pascal Manoukian, Don Quichotte, août 2015.....
Virgil est moldave, Chanchal est bangladais, Assan et sa fille Iman sont somaliens. Tous ont en commun d'avoir quitté leurs pays pour venir en France. Chanchal est à Paris depuis deux ans et les autres depuis quinze jours lorsqu'ils font connaissance. Nous sommes en 1992, ce sont les premiers clandestins d'une vague qui grossira de mois en mois jusqu'à aujourd'hui. La vie en France est difficile, le travail ne court pas les rues, d'autant moins lorsqu'on est sans papiers. Néanmoins, ils parviennent à se débrouiller avec les marchands de sommeil, les esclavagistes qui exploitent une main d'œuvre docile et pas chère. Pas beaucoup de rayons de soleil dans les vies de ces clandestins, juste penser à survivre.
Bouleversant ai-je lu sur un réseau social avec un petit oiseau bleu. Que dire de plus ? Ce roman est véritablement bouleversant. Il se passe en 1992, on est donc encore très loin des bateaux qui s'échouent au large de Lampedusa ou des migrants qui siègent à Calais en espérant un passage vers l'Angleterre, mais chaque histoire est individuelle et ressemble sans doute à beaucoup de titres à celles des quatre clandestins de ce livre. Je ne vais pas raconter ici ce qui les a menés à quitter leurs pays, la misère, la guerre, les massacres, tout cela P Manoukian le fait très bien et c'est poignant parfois même à la limite du soutenable, mais c'est malheureusement le quotidien de certains. Tous sont attirés par l'occident, par nos richesses et nos facilités de vie, Virgil le dit très bien à un syndicaliste venu leur expliquer le droit du travail français : "Même ce qui semble terne chez vous brille à nos yeux ! Plus vous vous rendez la vie belle et plus vous nous attirez comme des papillons. Et ça ne fait que commencer, nous sommes les pionniers, les plus courageux. Vous verrez, bientôt des milliers d'autres suivront notre exemple et se mettront en marche de partout où l'on traite les hommes comme des bêtes. Il n'y aura aucun mur assez haut, aucune mer assez déchaînée pour les contenir. Parce que ce qu'il y a de pire chez vous est encore mieux que ce qu'il y a de meilleur chez nous. Vous n'y pouvez rien, croyez-moi, ce qui vous gratte aujourd'hui n'est rien à côté de ce qui vous démangera demain." (p.268)
Après la lecture de ce roman, on ne peut plus croire si tant est qu'on y croyait avant, que c'est par plaisir que les candidats à l'exil viennent clandestinement en occident. Lorsqu'on lit le calvaire de leur voyage, les méthodes inhumaines employées par les passeurs qui se font payer cher, et le cauchemar de leurs conditions de vie et de travail lorsqu'ils en trouvent : les employeurs des clandestins sont de véritables négriers et leur manière de choisir tel ou tel ouvrier se rapproche des marchés aux esclaves.
Ce n'est pas un roman que l'on lit pour se détendre, néanmoins, parce qu'il ne peut pas ne pas y avoir une once d'espoir, un minuscule ilot de bonheur dans un tel malheur, Pascal Manoukian ose intégrer une famille de Français pleine d'amour et d'envie d'aider son prochain. Cela ne suffira peut-être pas, mais Virgil, Assan, Iman et Chanchal profitent de toutes les minutes, de chaque seconde d'icelles, comme si elles ne devaient pas se renouveler.
Un roman magnifique, fort et poignant. Bouleversant disais-je en entrée d'article. Je confirme, bouleversant.
A rapprocher de l'excellent film, La pirogue, de Moussa Touré.
A noter pour finir que Pascal Manoukian est un journaliste, spécialiste des zones de conflits et qu'il a déjà écrit un témoignage sur ses années de guerre : Le diable au creux de la main, paru en 2013 chez Don Quichotte.