Quand le diable sortit de la salle de bain
Quand le diable sortit de la salle de bain, Sophie Divry, Noir sur blanc, 2015.....
Sophie est une trentenaire lyonnaise qui aimerait vivre de sa plume. Mais le monde du livre est cruel et sans pitié, en attendant le jour béni où la vente de ses livres suffira à la nourrir, Sophie est chômeuse, vit dans un petit appartement froid et compte et recompte le moindre sou pour tenir jusqu'à la fin du mois. Elle travaille de temps en temps, des piges journalistiques, s'interroge beaucoup et est sans cesse interrompue dans ses questionnements par les interventions inopinées de son meilleur ami Hector queutard compulsif, de sa mère qui s'inquiète et donne des conseils et de Lorchus son démon personnel.
Beaucoup de trouvailles, de (ré)-inventions, de jeux avec les mots, avec la typographie, la mise en page pour ce roman de Sophie Divry. J'écris (ré)-inventions car dans une post-face intitulée Bonus, l'auteure met en copie une lettre adressée à la responsable d'une résidence d'écrivains dans laquelle elle cite Laurence Sterne, et, renseignements pris, je sais désormais que ledit Sterne (1713/1768), romancier et ecclésiastique a beaucoup joué avec la typographie et la mise en page. Pas facile de décrire les différents jeux avec les lettres, les calligrammes, mais sachez qu'il rajoutent une touche de plaisir de lecture et d'humour. Car ce roman, même s'il traite d'un sujet malheureusement banal et loin d'être drôle, l'est tout de même. D'abord dans la forme avec donc la mise en pages, mais aussi avec des néologismes notamment ceux qui servent à introduire une parole de la mère de Sophie : "s'exclamaugréa", "continunia", "intervindica", "articulâcha", "ajoutacla", ... ça nous change des sempiternels et inévitables, "dit", "répondit", "s'exclama" et c'est plus joli.
Sophie Divry écrit là un roman dialogique (merci les Bonus, je ne connaissais pas le terme), qui fait presque penser à de l'improvisation, comme si l'auteure nous racontait en direct son histoire avec les multiples digressions, parenthèses, délires ; tous ne sont pas drôles ou percutants, mais à chaque fois, l'originalité, le ton résolument joyeux, le décalage emportent l'adhésion du lecteur. Il arrive également qu'à l'instar du film de Philippe de Broca, Le Magnifique -avec bien sûr Jean-Paul Belmondo et Jacqueline Bisset-, un personnage croisé se retrouve dans un des délires de Sophie. De même les personnages, Hector, par exemple peuvent intervenir dans la mise en page du roman, exigeant une police de caractère et une scène particulières.
J'ai beaucoup parlé de la forme et le fond, me demanderez-vous ? Eh bien, j'ai apprécié également l'humour qui court tout au long du livre, les réflexions parfois très premier degré de tel ou tel intervenant, mais aussi les coups de gueule de Sophie sur le port du voile, sur le harcèlement au travail, sur la peur de l'autre qui dérive très vite vers la haine de l'autre, sur la difficulté de vivre avec les minimas sociaux, la honte d'en dépendre, ... Elle parle bien aussi de l'enfance qui s'en va, de la vie de famille, Sophie est issue d'une famille de sept enfants -comme moi !-, et les fêtes familiales sont toujours de très bons moments où chacun fait attention à l'autre et laisse au vestiaire ses soucis et ses opinions tranchées.
Belle écriture, qui joue avec les niveaux de vocabulaire, les répétitions, les longueurs de phrases, les références ; Sophie Divry use de la virgule, du point virgule, du "bital et monocouille", selon Pierre Desproges, point d'exclamation, ose les longs catalogues de comparaisons, de métaphores, ... sans que cela ne soit dérangeant, au contraire.
Ma première lecture de cette auteure, qui, vous le comprenez, me laisse un excellent souvenir, je suis sous le charme et encore tout heureux. A priori, très différent de son roman précédent, La condition pavillonnaire, qui me tentait bien, dans un genre plus dramatique. Un roman à lire absolument si vous voulez sortir de la banalité et qui je l'espère aura un bel écho au sein de cette rentrée littéraire. En plus, Notabilia est une très belle collection chez Noir sur blanc et la couverture est une réussite, à la fois voyante et sobre.