Viviane Élisabeth Fauville
Viviane Élisabeth Fauville, Julia Deck, Éd. Minuit, 2012
"Vous êtes Viviane Élisabeth Fauville. Vous avez quarante-deux ans, une enfant, un mari, mais il vient de vous quitter. Et puis hier, vous avez tué votre psychanalyste. Vous auriez sans doute mieux fait de vous abstenir. Heureusement, je suis là pour reprendre la situation en main." (4ème de couverture)
Rien de mieux que cette quatrième de couverture pour donner le ton du bouquin. C'est extrêmement rare que je dise du bien de cette page, trop souvent explicite, mais là, elle emplit idéalement son rôle : celui de donner envie (ou pas) de dévoiler le ton et l'ambiance du livre. Car il est formidable ce roman. Ce qui m'a surpris de prime abord, c'est le vouvoiement, le livre commence comme cela :"L'enfant a douze semaines, et son souffle vous berce au rythme calme et régulier d'un métronome. Vous êtes assises toutes les deux dans un rocking-chair au milieu d'une pièce entièrement vide." (p.9) Et puis je m'y suis fait. Mais à peine le temps d'avoir intégré ce narrateur qui voussoie que le voilà maintenant, narrateur omniscient qui parle à la troisième personne, alternant les "Viviane" et les "elle" Et puis, non content de m'avoir déstabilisé, il en rajoute une couche, en se faisant oublier au profit de Viviane qui parle avec un "je". J'ai même lu des phrases commençant par "nous". Mais diantre, qui ose ainsi déranger ma tranquillité de lecteur ? Julia Deck, vous avez dit ? Connaît pas...
Bon sang, mais c'est bien sûr, j'ai souvenance d'avoir déjà lu des billets sur son roman chez Clara, Isa, Cathulu et Ys.
Voilà, vous savez tout de mes réflexions à la lecture des premières pages de ce roman. Je me suis régalé, j'ai jubilé à cette lecture tout sauf reposante. D'abord pour le style certes, mais aussi pour l'histoire et ce personnage de femme totalement perdue. Julia Deck nous promène, j'ai échafaudé des hypothèses sur l'éventuelle folie de Viviane, sur la réalité de son bébé, sur les raisons de son geste envers son analyste, sur divers points tout au long du bouquin. Rien ne s'est avéré. L'auteure nous embrouille volontairement pour mieux nous retenir. Son personnage ne va pas bien, c'est le moins qu'on puisse dire. Elle est dans une mauvaise passe, larguée la quarantaine juste passé pour une plus jeune, seule avec un bébé dans les bras pour lequel, elle craint de n'avoir pas de sentiment maternel : "Au milieu de la pièce désespérément vide, nous réfléchissons à ce que nous pourrions faire pour mériter tant d'amour. [...] Nous ne faisons rien, immobiles comme nous avons toujours été. L'enfant n'a jamais un pleur plus haut que l'autre, paraît incroyablement satisfaite de son sort, et ce formidable prodige nous effraie avant de nous réjouir, si bien que nous n'avons d'autre choix que suivre notre habitude, obéir aux lignes de la nécessité. Nourrir, s'apprêter, sortir, rentrer, dormir : c'est le corps seul qui avance lorsque nous sommes redevenues muettes." (p.55)
Pour être tout à fait complet, j'ai ressenti un "p'tit coup d'mou" au début de la seconde partie, une vingtaine de pages moins captivantes, un peu fatigantes, avant de repartir sur une fin tout aussi enthousiasmante que le début. Dans ma grande bonté, j'ai déjà pardonné à Julia Deck ce passage (que je suis peut-être le seul à avoir ressenti), car son roman est vraiment frais et original. Il paraît difficile d'inventer des histoires, des manières de les raconter aujourd'hui, tellement il a été publié de livres en tous genres. Julia Deck relève le défi, joliment. Franchement, passer à côte de Viviane Élisabeth Fauville sans faire sa connaissance serait de la goujaterie, une faute de goût, un manque de savoir-vivre.