Pas d'inquiétude
Pas d'inquiétude, Brigitte Giraud, Stock, 2011
"Mehdi est tombé malade quand nous avons emménagé dans la nouvelle maison. C'est moi qui avais relevé la boîte aux lettres ce jour-là, c'était un samedi matin. J'avais entre les mains l'enveloppe blanche petit format qui contenait des résultats d'analyses que nous ne saurions pas interpréter et qui allaient changer notre vie." (p.9)
C'est par ces mots que commence le roman de Brigitte Giraud. La suite, eh bien, elle est de la même qualité. Un texte magnifique qui décrit non pas la maladie de Mehdi, petit garçon de 11 ans, mais le déchirement de ses parents, leur confrontation à une situation qu'ils n'avaient pas envisagée. Et comme nous les comprenons, nous lecteurs et lectrices ! Comment envisager, lorsqu'aucun signe n'apparaît qu'un de nos enfants ait une maladie extrêmement grave ?
"Ce fut donc un début en douceur, sans la violence des mots, une auscultation tout en retenue, et en rentrant tournait dans ma tête la dernière phrase prononcée par le médecin. Plus je remâchais ce pas d’inquiétude, plus ma gorge se serrait. Pas d’inquiétude n’était pas compatible avec sans tarder, le médecin se contredisait, et en même temps je me rassurais, non, rien de plus normal, il voulait juste qu’un spécialiste prenne le relais, son sérieux était réconfortant, il valait mieux envisager les choses à temps." (p.16)
Ce texte est la vie quotidienne de cette famille, le père qui arrête son travail pour s'occuper de Mehdi, la mère engluée dans une situation professionnelle chronophage, difficile et culpabilisante et leur fille, Lisa, lycéenne qu'ils négligent par la force des choses, absorbés qu'ils sont par Mehdi, sa pathologie et tous les rendez-vous inhérents à celle-ci. C’est donc leur quotidien, l’usuel, la préparation des repas, la question de qui fait quoi, mais aussi les questionnements profonds, les réflexions sur l’utilité de se sacrifier pour accéder à la propriété d’une maison alors que tout allait bien dans leur appartement. Oh, certes, il était en banlieue, il n’était pas présentable aux amis, aux connaissances qu’ils n’invitaient plus, mais au moins à ce moment-là, Mehdi allait bien !
C’est aussi l’éloignement des êtres entre eux et l’éloignement des corps :
"Nous étions, ma femme et moi, devenus deux blocs distincts qui, le soir venu, affrontaient la nuit comme la dernière étape de la journée, l’ultime épreuve à franchir, avant de s’en remettre à l’oubli, deux masses de chair qui ne palpitaient plus mais espéraient se perdre dans l’opacité du sommeil. Nous n’étions plus des corps mais des amas de chair triste, d’étranges végétaux aux troncs calcinés par la foudre." (p.82)
Vous l’avez compris le contexte n’est pas drôle. Ni le texte. Néanmoins, il n’est pas plombant, insurmontable. Pudeur et retenue sont plutôt de mise. D'aucuns qui ont eu à lutter contre la maladie de leurs enfants trouveront peut-être que ce père passe son temps à geindre plutôt qu'à profiter des moments avec son fils. Mais je pense qu'il fait les deux : il joue et profite de Mehdi, mais seul, il ne peut s'empêcher de se questionner sur son avenir, sur leur futur familial, sur la vie avec un enfant malade et sur la vie sans lui.
L’écriture aux phrases longues, travaillées mais au vocabulaire simple est directe, franche sans pourtant jamais nommer la maladie et en ne dévoilant les uns et les autres que par petites touches successives.
Néanmoins, malgré tous mes compliments, je dois bien avouer que j’aurais préféré un roman plus court, plus ramassé. 264 pages, c’est un peu longuet ! Certes, les personnages avancent au long des lignes, mais il y a aussi beaucoup de répétitions de situations, de questionnements qui, évitées, auraient pu alléger un peu le livre.
Une très belle sélection pour le Prix du roman France Télévision 2011.
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