Ni fleurs ni couronnes
Ni fleurs ni couronnes, Maylis de Kerangal, Verticales-Gallimard, 2006
Deux courts romans dans ce livre : d'abord, Ni fleurs ni couronnes : début du siècle dernier, un jeune homme irlandais qui a quitté son village, part repêcher les noyés avec une jeune inconnue, suite au naufrage d'un paquebot. Un cadavre une livre. Pour l'époque, le rapport est tentant.
Ensuite, Sous la cendre : à notre époque, deux jeunes hommes et une jeune femme se retrouvent dans un groupe qui escalade les pentes du Stromboli de nuit.
Je n'avais pas aimé Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, et comme elle est la présidente du Prix des lecteurs de l'Express, je voulais la relire pour élargir un peu ma connaissance de son écriture. Bien m'en a pris. Ces deux petits romans sont bien ficelés. Bien que très différents dans l'époque, dans les personnages, dans les lieux et dans le style de l'écriture, ils racontent tous les deux la rencontre entre des jeunes hommes et femmes. La première impression, pas toujours flatteuse, la cohabitation qui rapproche et le désir qui monte, particulièrement sensible dans Sous la cendre, puisqu'en plus il y a rivalité entre les deux jeunes garçons pour la conquête de la fille.
Commençons par Ni fleurs ni couronnes dans lequel Finbarr Peary, le jeune homme se supporte plus la vie dans son village perdu et souhaite partir comme l'ont fait avant lui tous les garçons de seize ans. L'auteure ne s'embarrasse pas de précautions et malgré de longues phrases, de nombreuses digressions, elle va droit au but :
"Finbarr Peary naît dixième enfant d'une fratrie qui n'en compte alors plus que deux, les sept autres ayant été tour à tour enveloppés de draps rêches puis déposés au fond d'un trou dans le cimetière de l'église catholique de Belgooly -trou profond, trou sans fond, trou du malheur, on dira même plus tard Trou des Enfants Peary." (p.11/12)
Elle raconte cette rencontre improbable, cette attirance de Finbarr vers cette fille, la rusticité de ce jeune homme face à une certaine distinction de la jeune femme.
Dans Sous la Cendre, les jeunes sont plus dégourdis, plus libérés, mais ils vivent dans le siècle suivant. On sent tout de suite que l'ambiance n'est pas la même. D'ailleurs cette ambiance est chaude, torride, ouateuse, la faute au Stromboli :
"Il est midi et tout est blanc. Une brume de chaleur est montée des eaux, a pastellisé les taches de couleurs sur les embarcations, caviardé les silhouettes égarées et les anecdotes les plus fragiles du paysage, est venue s'enrouler autour de la montagne -on pense à un foulard dont les bordures se déchirent et s'effilochent jusqu'à terre-, ne laissant dépasser que la tête noire du volcan, et l'île est prise sous une vapeur de tulle." (p.92)
Dans cette histoire, le style de l'auteur change, elle élude des articles, des mots sans bien sûr qu'on perde le sens et surtout sans rien ôter de la joliesse de sa phrase, au contraire. Voici un exemple parmi d'autres :"Dans la plantation qui les entoure, des grouillements se font entendre, des vagissements, comme si bêtes cachées dans la jungle, rats à la course ou chasse au tigre, alors voltige de particules en suspension, tourbillons ascensionnels, il semble que le vent se soit levé." (p.123)
Je ne sais pas vous, mais moi, je trouve que dans tous les extraits que je vous donne à lire, l'auteure met beaucoup de poésie. Elle enrobe le fait sans le nier, bien au contraire, détaille les à-côtés, décrit les paysages. Une écriture originale qui ne laisse pas indifférent, qui peut irriter, qui peut gêner, qui moi me ravit.
Les rencontres dans ces petits textes sont très courtes, comme si, finalement, il n'y avait que cela qui comptait ; la rencontre entre deux personnes comme le moment le plus fort qu'elles vivront ensemble.
De rencontre, il y en eut une autre, puisque j'ai moi-même renoué avec Maylis de Kerangal et à la lecture de ce livre, je comprends encore mieux ses choix de livres et son argumentation sur les belles phrases, le style -argumentation que je partage avec elle et que je reprends à mon compte- lors de la délibération du jury. Elle fait preuve d'une écriture qui me plaît bien et je vais donc très bientôt m'enquérir de son dernier roman La naissance d'un pont. Et puis, face à elle lors de la remise du Prix, je serai plus à l'aise que si j'étais resté sur mon idée première après Corniche Kennedy.
Ouf, sauvé !
D'autres avis : Florinette, Tatiana