Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB
Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB, Jacques Tardi, Casterman, 2012
Au début des années 80, Tardi interroge son père, René sur ses années de prisonnier de guerre. Déjà affaibli, René se met au travail et remplit 3 carnets d'une petite écriture racontant ses presque 5 années de captivité. Beaucoup plus tard, Jacques Tardi met en images les mots de son père. Une bande dessinée dans laquelle il se met en scène en tant que jeune garçon posant des questions à son père. On voit donc Jacques en jeune garçon présent dans presque toutes les cases (3 par page de taille identique) qui voit et entend la vie de son père, cette vie peu connue, parce pas glorieuse. Pas facile de dire à son père qu'on a été prisonnier, lui qui a combattu pendant 14/18, ni à son fils qui lui pose comme un leitmotiv la question sur une possible évasion.
Fan de Tardi, je n'étonnerai personne si je dis que cette BD est excellente. Elle est un témoignage simple de la vie dans les camps de prisonnier, de la guerre vue par un soldat. Cette guerre qui a de moins en moins de témoins directs ne doit pas devenir une simple évocation : l'horreur que les nazis ont fait vivre aux juifs, aux tziganes, aux homosexuels, aux prisonniers de guerre et plus largement à l'Europe entière et à une grande partie du monde ne peut pas être effacée. Dans des moments ou beaucoup se renferment sur une communauté qu'elle soit religieuse, politique, ethnique ou régionale, il est bon de dire et redire qu'il faut vivre tous ensemble, dans le respect des uns et des autres, et de ne pas oublier ce qu'a pu engendrer le repli sur soi et la haine de l'autre.
Après cet emballement, revenons à l'objet premier de ce billet : le livre de Tardi. Il raconte la drôle de guerre, celle de René dans son char. Totalement isolé de son unité, à la recherche d'un "contact" avec les panzers allemands pour les détruire, il est finalement capturé après un baroud d'honneur et envoyé dans un camp en Poméranie. La vie s'écoule pas paisible : "Qu'on m'ait arraché une dent sans anesthésie au prétexte que leurs produits anesthésiants étaient réservés à la Wehrmacht, je m'en suis remis, mais il y eut bien pire... Le IIB n'était pas un camp de vacances. Les Anglais qui eux, continuaient la guerre, ont salement morflé dans leur enclos... Je t'ai parlé des Polonais et des Russes... Sadisme, humiliations, coups de crosse et de gummi, exécutions sommaires... Souviens-toi de Chardonnet, assassiné comme tant d'autres sans raison. La sauvagerie au quotidien. Voilà ce qu'était le Stalag IIB." (p.179)
Je ne vais pas m'appesantir sur cette BD dans laquelle on retrouve les dessins noir et blanc de Tardi avec quelques touches de rouge. Ma grande fille a commencé à le feuilleter, et puis prise d'intérêt a marqué la page et continue sa lecture. Une lecture indispensable pour les jeunes et moins jeunes. Un premier tome -j'attends la suite avec impatience- qui s'arrête au tout début de 1945 au moment où le Stalag est évacué : "J'ai franchi la porte du Stalag sans me retourner. Je venais de passer quatre ans et huit mois -1680 jours !- dans ce cul-de-basse-fosse poméranien et j'en voulais à la terre entière... à nos chefs, à l'Armée, à la France ! J'avais des envies de meurtre !" (p.188)
Pour enfoncer le clou, lisez donc l'article de mon ami Éric (ici). Et pour finir un merci à Juan Luis Fajardo de Price Minister pour son envoi dans le cadre de l'opération La BD fait son festival.
Et puisqu'il faut mettre une note sur 20, étant donné mon enthousiasme, je conclus en mettant 20/20 ! Mérité !