Libellules , Joël Egloff, Buchet-Chastel, 2012
Recueil de petites histoires du quotidien. Pas des nouvelles à proprement parler. Juste des petits moments de la vie ordinaire. On croise plusieurs fois un petit garçon curieux qui pose beaucoup de questions sur la vie et la mort, une petite vieille collectionneuse, un cinquantenaire naïf et solitaire, une famille adepte du secouage du linge par la fenêtre ou encore des adolescents un peu timides et empruntés.
J'ai lu pas mal de livres de Joël Egloff : L'homme que l'on prenait pour un autre , Edmond Gaglion & fils , L'étourdissement (tous ne sont pas sur ce blog, car lus avant sa création), et chaque fois l'auteur m'a emmené dans un monde imaginaire au bord de la réalité et de l'irrationnel. Là, son virage est total : il décrit par le menu et dans des détails très précis des tranches de vie qui seraient banales s'il n'était pas là pour les raconter. Récemment, j'entendais Daniel Picouly à la radio qui disait qu'il n'arrivait des histoires qu'à ceux qui savaient les raconter ; il prenait l'exemple du collègue qui tous les matins a une mésaventure ou une anecdote à narrer à tous ; en écoutant bien, on s'aperçoit qu'il ne lui arrive pas plus d'aventures qu'à nous, mais lui, il sait les raconter au contraire de nous ! Eh bien, Joël Egloff est ce collègue. Il voit ce que l'on ne voit pas et surtout il sait le raconter. Un signe ? Au début de ma lecture, comme à chaque fois que je lis un recueil de textes ou de nouvelles, à la table des matières, je coche celles qui me plaisent, qui me marquent. C'est d'ailleurs toujours un dilemme, car de quel côté apposer ma croix ? Devant le titre ? Après le numéro de page ? Où sera-t-elle la plus visible ? Et dois-je faire une croix, un simple trait, un astérisque ? Devant tant de questions existentielles, j'ai décidé d'un commun accord avec moi-même de cocher d'une croix en forme de "x" avant le titre, et puis, finalement, j'ai cessé de faire mon signe de qualité assez vite devant l'excellence de toutes ces petites histoires. Ben, oui, il ne sert à rien de tout cocher !
Pour les extraits dont j'ai l'habitude d'émailler mes avis, c'est pareil, lequel choisir ? Je ne vais quand même pas citer un texte entier. C'est agaçant ces écrivains qui m'obligent à faire des choix cruciaux. Bon, en voilà un au hasard qui peut résumer l'atmosphère du livre : très précise dans les détails et dans les préoccupations des narrateurs, très bien écrite, simplement avec beaucoup d'humour, de décalage et une parfaite connaissance de la vie domestique quotidienne :
"Je suis allé chercher une pelle et une balayette que je n'ai pas trouvées à leur place habituelle, ni là où elles se trouvaient d'ordinaire lorsqu'elles n'étaient pas à leur place habituelle. A force de fouiller tous les réduits et les placards, j'ai fini par mettre la main sur la pelle, mais je n'ai pas retrouvé ma balayette, et cela m'a découragé." (p.176)
Joël Egloff met aussi en parallèle la vie de son narrateur écrivain avec ses doutes et les affres de l'écriture. Comment réussir à faire dix ou quinze lignes par jour ? A ce propos, je me suis toujours demandé si ce genre de petits textes n'étaient pas des "entre-deux" , des textes écrits à des périodes diverses que l'on rassemble pour faire un livre entre deux romans. Non pas que je considère le roman comme le genre ultime, mais c'est l'effet que ça me fait souvent en les lisant : un livre d'attente avant un autre plus conséquent, un peu comme un chanteur fait un album de reprises avant de revenir à de nouvelles chansons. Ne m'en veuillez pas cher Joël de dire ici mes interrogations (qui n'engagent que moi), d'autant moins que des livres d'attente comme le vôtre, j'en veux bien tous les ans !
"Je n'étais pas dans un grand jour, voilà tout, je l'avais senti tout de suite, à peine installé à ma table. Ce n'avait pas été une très bonne semaine non plus, d'ailleurs, pas plus que le mois n'avait été mémorable. Mieux vaut ne pas parler du trimestre. L'année, globalement, avait été assez brumeuse. J'ai voulu prendre un peu de recul et faire le point. Je me suis mis à compter les signes, les mots et les pages, afin de savoir où j'en étais, à peu près, de ma traversée au long cours." (p.181/182)
Tout cela pour dire, mes divagations en sus, que ce livre est à garder à portée de main, pour lire et relire ces petites histoires régulièrement. Clara dit à peu près la même chose que moi et Zazy n'en pense pas moins de bien. J'en connais une de blogueuse qui doit déjà saliver à l'idée de lire ce recueil si j'en juge par sa fidélité envers un livre du même acabit (ici) , n'est-ce pas Hélène ?
PS : en plus, chez Buchet-Chastel, ils ont de belles couvertures dans un papier légèrement granuleux (nid d'abeilles) du plus bel effet ; celle-ci est sobre, élégante, belle tout simplement.
Merci Bénédicte.