Le Réprouvé
Le Réprouvé, Mikaël Hirsch, L'Éditeur, 2010
Gérard Cohen est garçon de course chez Gallimard. Fils d'un des responsables de la maison d'édition, il porte le courrier à tous les grands écrivains des années 1950. En cette année 1954, alors que l'Académie Goncourt, s'apprête à donner son prix à Simone de Beauvoir, auteur maison, pour Les Mandarins, Gérard visite le docteur Destouches, espèce d'ermite de Meudon plus connu sous le nom de Louis-Ferdinand Céline.
Il n'est pas très aisé de rentrer dans ce roman, et malgré une écriture très belle, appliquée et parfois géniale, il faut bien dire que je suis un peu passé à côté de l'ensemble de ce livre. C'est un roman initiatique d'un jeune homme qui se pose des questions sur sa judaïté, sur son éventuel talent de futur écrivain. J'ai eu du mal parfois à savoir où l'auteur voulait m'emmener : beaucoup de digressions qui m'ont surpris et pas forcément emballé.
Par contre, certaines pages sont vraiment excellentes, notamment, celles qui racontent les rencontres entre Gérard Cohen et Céline : "Moi, le fils du Juif Süss, le bâtard sinisé, le Turco-Mongol aux yeux bridés, l'Ouzbek, le Pachtoune mal dégrossi, le Berbère crasseux, j'éprouve de l'affection pour cette vieille ordure. Sa haine inexplicable, aussi bien que son talent, exerce sur moi une fascination étrange. Je le visite comme on visite un prisonnier. [...] Je viens le voir avec ce mélange d'appréhension et d'excitation qui précède des retrouvailles douloureuses. Tout nous sépare en apparence et pourtant sa misère nous rassemble." (p.159) Céline sera pour Gérard celui qui l'aidera à passer le cap, celui qui lui permettra de répondre aux questions qui le taraudent, mais sans vraiment le savoir ou s'il le sait, sans vraiment le dire franchement.
Ce livre alterne des passages qui ne m'emballent pas, mais dans lesquels il y a des fulgurances. Voici une phrase par exemple (la dernière de l'extrait) qui m'a particulièrement plu : Gérard monte avec une prostituée dans la chambre de celle-ci située au sixième étage sans ascenseur ; bien sûr, il croise des "hommes seuls qui descendent, l'air repu, satisfait ou vaguement honteux. [...] Suis-je le seul à écouter cette musique des visages qui résonne ? L'étroitesse du passage engendre une promiscuité hélicoïdale, cohue saccadée par les pauses palières." (p.62) Je trouve cette phrase magnifique, peut-être simplement parce qu'elle décrit en peu de mots une scène que l'on voit précisément, ou alors tout bêtement pour les mots, leur agencement. Allez savoir parfois pourquoi on aime tel ou tel passage d'un livre !
Voilà donc mon sentiment pour ce livre, partenariat B.O.B/Éditeur, qui me laisse donc un petit goût d'inachevé, mais que je ne regrette absolument pas parce que Mikaël Hirsch fait preuve d'un style littéraire que j'aime beaucoup.