Foutre la paix aux morts
Foutre la paix aux morts, Marie-Claude Tesson-Millet, JC Lattès, 2010
"Une jeune thanatopraticienne relooke les cadavres et fixe des téléphones portables dans leurs cercueils, sous le label "Voix Vivante"...
Une gérontologue accepte l'installation d'un dispositif de communication dans la tombe de son père...
Un charlatan ambigu et frimeur anime un cercle de spiritisme et se croit menacé de concurrence par les téléphones enterrés dans les sépultures voisines..." (4ème de couverture)
Voici un roman qui tourne autour de la mort. Pas drôle me direz-vous. Et bien si ! Pas hilarant certes, mais le ton, tout au long du livre est plutôt au sourire. L'auteure, par ailleurs médecin et directrice de presse qui écrit là son premier roman, fait le tour du commerce de la mort. Des pompes funèbres classiques (relisez mon billet sur la thèse de Julien Bernard à propos de ces entreprises), aux idées les plus farfelues, notamment celles de mettre des portables dans les cercueils. Farfelu ? Totalement impensable ? En surfant, je suis tombé sur des sites qui permettent aux défunts de laisser des messages à ceux qui restent, comme la vie d'après, ou d'autres, comme cimetière virtuel, qui permettent "d'honorer ses morts" ou de se recueillir, mais surtout de recueillir des sous.
Marie-Claude Tesson-Millet pousse le raisonnement commercial très loin, mais finalement est à peine éloignée de ce qui existe déjà. Elle explique très bien, comment les personnes dans la peine peuvent se laisser embobiner par des propositions les réconfortant : "Les entreprises rivalisaient de nouveaux moyens pour séduire la clientèle, et les soins de conservation, parés du nom de thanatopraxie, étaient devenus un des meilleurs produits d'appel parmi les prestations funéraires. Les thanatopracteurs, eux, ne manquaient pas d'arguments de vente : rendre aux défunts leur dignité, les réhumaniser, et, surtout, faciliter pour l'entourage le fameux "travail de deuil" que les modes psy avaient rendu indispensable à tous les affligés." (p.13/14) Quelle vilaine expression d'ailleurs que le "travail de deuil", effectivement directement importée des travaux de Freud et autres psy. "Vivre le deuil" me semble plus adéquat.
Enfin, revenons à notre écrit. Sous des airs de roman léger et drôle, avec parfois des airs de la BD Pierre Tombal (de Hardy et Cauvin), l'auteure réussit à nous faire réfléchir à ce qui fait partie de notre vie, la mort. Pas du tout morbide, ne fuyez pas ! Au contraire, c'est justement une manière d'y penser en la prenant du bon côté. Et puis, ses personnages sont sympathiques, loufoques, un peu barrés pour certains : la thanatopractrice bombesque a peur dans le cimetière et le gardien du-dit cimetière ne veut pas partir en retraite -encore un adepte du travailler plus longtemps. Desproges disait qu'on pouvait rire de tout (mais pas avec n'importe qui) avant d'écrire sa propre épitaphe -même s'il parait qu'elle n'est pas de lui, mais de son compère Jean-Louis Fournier- : "Desproges est mort d'un cancer, étonnant, non ?" Il a donc prouvé s'il en était besoin que l'on peut rire avec sa mort. En attendant la nôtre très longtemps encore j'espère, rions avec celles que nous narre Marie-Claude Tesson-Millet.