Le canyon
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Le canyon, Benjamin Percy, Albin Michel, février 2012
Justin entretient des relations difficiles avec son père Paul. Il lui est toujours soumis et ne réussit pas à lui tenir tête. Depuis la perte de leur second enfant, la vie de couple avec Karen n'est pas au beau fixe non plus. Paul, Justin et Graham, son fils, décident malgré l'opposition de Karen qui craint pour la vie de son fils (un grizzly rôderait dans les parages) d'aller passer un weekend à Echo Canyon comme le faisaient Paul et Justin auparavant. Echo Canyon qui vit ses derniers instants de nature vivante et tranquille puisque qu'un complexe immobilier est à la veille de prendre forme.
Pendant que les garçons partent dans la nature, Karen reste seule, courtisée par le promoteur immobilier et par Brian, un serrurier très perturbé depuis son retour de la guerre d'Irak.
Tout cela commence plutôt bien : l'auteur va droit au but, décrit ses personnages et les situations le plus simplement et le plus directement possible.
"Elle [Karen] est, était enceinte de cinq mois. Les médecins lui disent qu'elle a fait de la pré-éclampsie. En gros, son corps a fini par identifier le bébé comme un allergène et l'a expulsé. Lorsqu'elle explique cela à Justin, d'une voix que le Vicodin a rendue pâteuse, elle semble regarder au-dedans d'elle même et à l'extérieur en même temps, perdue dans de sombres pensées dans cette pièce trop vivement éclairée.
Quand l'infirmière vient contrôler les fonctions vitales de Karen, elle demande à Justin s'il désire voir le bébé, une fille. Il veut et ne veut pas. Le jour où son fils, Graham, est né, il était tout brillant, comme si le ventre de Karen l'avait poli, une pierre précieuse qu'ils serraient fort contre leur poitrine et se passaient avec d'immenses précautions. Ce bébé aussi ressemble à ça, sauf qu'il est plus petit, plus bleu." (p.16)
Une grande partie du livre consiste à ausculter les relations entre les différents protagonistes, à décrire leurs caractères, leurs questionnements, leurs cheminements intérieurs. C'est plutôt bien fait, Benjamin Percy inventant des héros mal dans leurs peaux et qui ont du mal à vraiment communiquer. Cependant, Brian, l'ex-marine est un rien stéréotypé : un ancien combattant qui revient détraqué par ce qu'il a vu, ce qu'il a vécu et ce qu'il a été obligé de faire pendant le conflit dans lequel il était engagé. On a déjà vu ou déjà lu ce genre de personnages, concernant notamment la guerre du Viet Nam. On s'attend dès le début à ce que le serrurier commette une bévue voire un drame. Mais le fera-t-il ? Quel suspense, Yv ! Tu es trop fort !
L'autre grande partie du livre est la nature de l'Oregon. Benjamin Percy la décrit lentement et assez précisément. Il parle surtout de ce qui va disparaître puisque -je le rappelle aux inattentifs- le canyon sera recouvert d'un complexe immobilier. Bon, au début, ça va. Mais, je me dois de dire ici, à la France entière, que dis-je, au monde entier ("Yv, c'est l'heure de prendre tes cachets !") que ça devient un petit peu long. La description du campement des garçons, leurs gestes quasiment minute par minute, ça me fatigue un peu. Et puis en plus, je n'aime pas le camping : on a froid, on ne dort pas bien, on ne mange pas bien et souvent froid ou tiède. Non, je préfère nettement un bon hôtel -un quatre étoiles au moins cela va sans dire. Là, au moins, on prend soin du client. Si j'ajoute qu'un ours rôde autour du campement de Paul Justin et Graham, qu'en outre il y a des bruits bizarres, vous avouerez qu'une suite au Sofitel de New York, c'est quand même mieux, non ? Sauf si l'on est femme de chambre, certes, je vous le concède !
Bon revenons à notre campement : un peu longs les passages sur les grands espaces (peut-être Keisha est ses désormais célèbres lectures nature-writing appréciera).
Mais il y a quand même du très bon dans ce roman : du début à la fin un suspense monte, tant pour les campeurs aux prises avec leurs peurs, leurs angoisses et une éventuelle visite d'un éventuel ours que pour Karen qui ne sait pas qu'elle est la cible de l'étrange fascination de Brian le détraqué. A tout moment du livre tout est possible, et là, Benjamin Percy tient bien son lecteur, il ménage ses effets, alterne les moments plus calmes avec des situations plus tendues. Il y a des affinités avec les très bon Sukkwan island de David Vann, mais là, on n'est plus dans le grand nord mais en Oregon.