Le glacis
Le glacis, Monique Rivet, Métailié, 2012
Laure est une jeune enseignante qui vient travailler à El-Djond, en Algérie, à la fin des années 50. Ses maladresses, son attitude d'entraide et de recherche de l'autre quel qu'il soit vont lui attirer des regards et des ennuis de la part des colons français et des autorités autant françaises que le FLN.
Monique Rivet a écrit ce livre dans les années 50, alors qu'elle était à peu près du même âge que son héroïne et qu'elle était comme elle en Algérie, mais ne l'avait jusqu'ici pas publié. Ce récit se lit comme un état des lieux d'une jeune Française avide de rencontres, de connaître l'autre autant le colon que le colonisé à un moment où la tension monte sérieusement entre l'armée française et les fellagas. A cette époque on ne parle pas encore de guerre :
"Je lui demandai si on y avait toujours connu cette ségrégation des communautés ou si c'était un phénomène dû à la guerre.
- La guerre ? Vous appelez cela une guerre ? Nous ne faisons pas une guerre, nous rétablissons l'ordre public. Quant aux communautés, si elles vivent séparées, c'est que cela leur convient, nous n'en avons pas fait une obligation.
Un peu plus tard, comme nous traversions le jardin pour sortir du cercle, Elena me reprocha le mot guerre :
- Ici on dit les événements, au cas où vous n'auriez pas remarqué." (p.14)
Puis Laure s'attirera d'autres remarques en sympathisant avec des jeunes femmes algériennes, en les invitant dans des endroits qu'elles ne fréquentent pas habituellement remplis de femmes françaises, et puis des réponses cinglantes lorsque par exemple elle visite une ferme exploitée par un colon : "Nous avions vu les logements réservés aux ouvriers ; des barbelés les entouraient et j'avais trouvé étrange qu'on mette derrière des barbelés des hommes supposés libres ; réflexion que j'eus la sottise de formuler tout haut et qui m'attira cette réplique de Saragossa : "ils sont tout à fait libres, libres de retourner dans leurs mechtas pour y crever de faim si ça leur plaît. Les barbelés, c'est pas pour les empêcher de partir, c'est pour la protection des bâtiments." (p.61)
Laure est une jeune femme libre et qui entend le rester jusque dans ses amours avec Felipe, mais qui vit au mauvais endroit au mauvais moment. Un beau récit, écrit simplement comme une chronique de la vie dans cette petite ville algérienne dans laquelle les peurs augmentent, les délations vont bon train et les gens qui ne veulent ou ne peuvent choisir un camp sont montrés du doigt, voire beaucoup plus si inimitiés.
Un livre qui permet de plonger en plein cœur de la guerre d'Algérie vue ni par un militaire venu maintenir l'ordre ni par un fellaga, mais par un simple témoin désireux de vivre en harmonie et en bonne intelligence avec tous. Une lecture instructive pour s'informer à froid des événements.
Pour finir l'explication du titre du livre : "Le "glacis", au nord de la ville, c'était une grande avenue plantée d'acacias qui séparait la ville européenne de la ville indigène. Une frontière non officielle, franchie par qui voulait et gravée pourtant dans les esprits de tous comme une limite incontestable, naturelle, pour ainsi dire, à l'instar d'une rivière ou d'une orée de forêt. Ce qui était singulier, ce n'était pas la ségrégation des communautés, habituelle dans ce pays, c'était l'avenue elle-même, comme tirée au cordeau, sa largeur agrémentée d'un terre-plein, la longueur de sa ligne droite, et davantage encore ce nom de glacis qu'elle devait à un fondateur largement oublié malgré une rue dédiée à son souvenir." (p.129)