Effondrement
Effondrement, Horacio Castellanos Moya, Ed. Les Allusifs, 2010
La famille Mira Brossa, la mère dona Lena, la fille Teti et le père don Erasmo, chef du parti au pouvoir, avocat, est très en vue au Honduras dans les années 60. Mais dona Lena voue une haine féroce à sa fille et méprise son mari. Elle empêche même celui-ci, en l'enfermant dans les toilettes, d'assister au mariage de Teti avec Clemente un Salvadorien beaucoup plus âgé qu'elle considère comme communiste. Ainsi commence ce roman, traversé de part en part par les insultes et les accusations de dona Lena.
Ce roman est construit en trois parties, chacune s'intéressant à une période différente. La première parle de l'année 1963, celle du mariage de Teti avec Clemente avant qu'ils ne partent ensuite s'installer au Salvador, avec leur fils Eri. C'est une véritable pièce de théâtre : beaucoup de dialogues, très virulents de la part de Lena, beaucoup plus apaisants de la part d'Erasmo. Très rapide, elle ouvre le roman en fanfare. Les quelques phrases qui ne sont pas du dialogue, pourraient être les didascalies de cette pièce. Lena est une furie, une mégère, lon d'être apprivoisée.
La seconde partie, qui va de 1969 à 1972, est un roman épistolaire essentiellement entre Teti la fille et son père Erasmo. La tension est très forte, parce que cette période correspond à des relations très difficiles entre le Salvador (pays dans lequel vit Teti) et le Honduras, avec comme point culminant, la Guerre des cent heures, connue également sous le nom La guerre du Football. Voici d'ailleurs ce que pense Teti de ce sport (?) : "Mon petit papa, je crois que vous, vous êtes une exception : je me souviens encore du jour où vous m'avez dit que la seule fois où vous vous étiez intéressé au football remontait à très loin, au début de votre carrière, [...] vous aviez convaincu les gringos de la compagnie de construire des terrains de football et de former des équipes pour que les journaliers ne passent pas leur dimanche à boire du ratafia et à s'entretuer à coups de machette dans les bistrots. Ce jour-là, j'ai compris que c'est un sport pour les ploucs et les brutes." (p.87). Bon, je frime un peu avec mes histoires de guerre de cent heures, mais n'en ayant jamais entendu parler avant de lire ce livre, j'ai fait mes recherches, ce que je conseille d'ailleurs au lecteur inculte comme moi. Ça aide à la compréhension, et Wikipédia fait un article clair. D'habitude, je ne suis pas très amateur des romans épistolaires, mais là, d'abord, il n'est pas très long, et ensuite, le contexte, une fois renseigné, fait monter la tension très perceptiblement.
La troisième partie est construite comme un roman plus classique, écrit à la première personne du singulier. Le narrateur est l'homme à tout faire de dona Lena, qui raconte cette période entre décembre 1991 et février 1992. Elle clôt ce formidable roman de Horacio Catellanos Moya. Je dis formidable, parce qu'on ne s'y ennuie pas une seule seconde et parce que les personnages sont tous très présents, malgré la très forte personnalité de Lena. Tous ont des choses à dire et à vivre, ce qui n'est pas très évident dans ces deux pays dans les années concernées. L'auteur "dépeint le démantèlement d'une grande famille sur fond d'écroulement politique, dans une ambiance de folie, de conspiration, de suspicion et de conflits." (4ème de couverture). Je n'aurais pas mieux dit, donc je cite. Ce que j'aime également particulièrement, c'est que j'ai déjà lu et beaucoup aimé un roman précédent complètement barré et fou de H. Castellanos Moya, Le bal des vipères (Ed. Les Allusifs), et qu'il est totalement différent de Effondrement. Le seul point commun serait : excessif et maîtrisé ! On peut donc lire les livres de H. Castellanos Moya sans avoir la sensation de toujours lire le même ou la même histoire. Au même titre que son livre, c'est l'auteur qui est formidable.