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Trois personnes en forme de poire

Publié le par Yv

Trois personnes en forme de poire, Suzanne Azmayesh, L'âge d'homme, 2017....

Trois jeunes femmes tout juste ou à peine trentenaires. Trois jeunes femmes autour d'un jeune homme. Lui, c'est Theo Nadea, acteur auréolé d'un succès, qui veut marquer le cinéma. Elles, ce sont Victoria, sa compagne depuis plusieurs années, vaguement actrice, écolo, qui ne se sent plus à sa place dans le monde factice de Theo ; Madeleine, partenaire de Theo dans le film qui les a propulsés au top du cinéma français, depuis sa carrière piétine, Madeleine se cherche ; Émeline, qui vient de lâcher son boulot pour écrire et tenter d'en vivre, passionnée par Theo au point d'en devenir lassante.

Tour à tour ces trois jeunes femmes prennent la parole ou la plume pour dire ce qu'elles ressentent, ce qu'elles vivent et ce qu'elles désirent. Il y a un peu de désillusion, un peu de cynisme, de l'humour, du détachement, mais aussi une envie folle d'exister par elles-mêmes, de se réaliser dans ce qu'elles ont au plus profond d'elles. Elles semblent prêtes à prendre des risques pour y parvenir. Trois femmes de ce qu'on appelle la génération Y (nées entre 1980 et 1995) que l'auteure connaît bien puisqu'elle même en fait partie, appelée aussi notamment aux Etats-Unis, les "natifs numériques". Si je ne suis pas de la même génération, les questionnements et les envies des Y peuvent ressembler à ceux que j'avais au même âge.

Bien que jeune écrivaine, Suzanne Azmayesh se pose beaucoup de -bonnes -questions sur l'écriture et les tourments d'un écrivain : le style, le fond, la description des lieux et des personnages, etc, sur la création artistique en général. Elle décrit ses femmes assez finement, Madeleine, Émeline et Victoria, aux ambitions et aux moyens d'y parvenir différents, elles se complètent. En fine bouche, on peut regretter que le roman se déroule dans le milieu un peu idéalisé de l'écriture et du cinéma, et ne soit pas vraiment ancré dans la réalité, mais sans doute pour cette génération -et c'est encore pire avec la suivante- ce monde-là est-il un rêve, la gloire et la notoriété à portée de tous, d'un clic ?

Pas mal de remarques, apartés et réflexions intéressants sur les différentes obligations faites aux femmes dans nos sociétés, sur une certaine superficialité du monde actuel, principalement dans les milieux ci-dessus-nommés. Ce n'est pas révolutionnaire, Suzanne Azmayesh le dit elle-même d'ailleurs par l'une de ses héroïnes, mais ça a le mérite d'être dit et plutôt joliment. C'est un roman dans lequel les femmes ont le quasi monopole des pages. Est-ce pour autant un roman féminin ou féministe ? Je ne sais pas. Sans doute, mais que les hommes ne fuient pas, le féminisme est aussi notre affaire. 

L'autre bonne surprise de ce roman c'est qu'il est bien écrit ; la romancière fait preuve d'un évident talent d'écriture, alternant descriptions et dialogues, les styles aussi, en fonction de l'état d'esprit de la narratrice. Chaque femme est bien décrite et ce que dit l'une ne lui va qu'à elle pas aux autres, très différentes. Bien mené également, c'est un roman à quatre -car Theo fait de courtes apparitions- entrées qui se lit très agréablement. Une belle découverte que cette auteure qui signe là son deuxième roman après un polar. 

PS : le titre me faisait de l’œil, me disait kekchose sans que je puisse savoir quoi exactement. Et puis, tac, éclair de génie (bon, très dirigé par Suzanne Azmayesh, page 45) : "Je soupire. Plus que quelques mètres, et le calvaire sera terminé. Je vais prendre le métro. Rentrer toute seule. Prendre mon Xanax. Ecouter de la musique. Éric Satie. Les Gymnopédies. Trois morceaux en forme de poire. M'injecter mon héro (sic). Me coucher." Bon dieu, mais c'est bien sûr le titre d'une oeuvre de Satie que je mets en lien (ici). Un peu plus de temps ? Ecoutez aussi les Gymnopédies et les Gnossiennes du même compositeur, elles sont dans le ton du livre, simples de cette simplicité qui pousse à raisonner, mélancoliques et légères, parfois tristes parfois moins. Oui, la petite musique de Satie est celle qu'il faut écouter en le lisant.

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L
Là tu me donnes vraiment envie. Pour Satie, les Gymnopédies, quel bonheur.
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Y
Un livre bien sympathique et Satie, je partage tout à fait ton avis et Les Gnossiennes c'est bon aussi
Z
Comme Aifelle, j'ai envoyé un mail à la bib du village pour qu'elle transmette à la bib départementale dont nous dépendons
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Y
Ouh la, le trajet est long... mais la récompense est au bout
A
Je suis tombée amoureuse de Satie à 15 ans alors le titre m'a immédiatement fait penser à lui ! Ce que tu dis de ce roman est tentant, je vais encore solliciter la bibliothèque.
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Y
Il faut solliciter les bibliothèques, c'est comme cela que leurs fonds s'enrichissent de livres auxquels les gens qui y travaillent ne pensent pas forcément
N
Une bonne surprise pour moi aussi ce roman qui présente une fraicheur bienvenue au milieu de cette rentrée littéraire... Original, bien écrit et sympathique.
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Y
Exact, je partage tout à fait cet avis
M
Et bien pourquoi pas faire connaissance avec ce jeune auteur...Voilà que tu me tentes à nouveau et si je dois le lire en écoutant Satie, je suis preneuse :)
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Y
C'est le mélange idéal il me semble. Prends une intégrale tu en profiteras plus longtemps
K
Satie? Je ne connaissais pas trop, mais j'ai découvert ces morceaux au piano l'été dernier. Vraiment étonnant!
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Y
J'ai découvert il y a quelques années, par les Gnossiennes et les Gymnopédies qui sont magnifiques. Ses autres compositions au piano peuvent être parfois étonnantes effectivement