Jimfish
Jimfish, Christopher Hope, Piranha, 2017 (traduit par Édith Soonckindt).....
1984, Jimfish est recueilli par un pêcheur de Port Pallid, petite ville d'Afrique du sud. Ni blanc ni noir, le jeune homme change de couleur en fonction de la lumière, ce qui le rend difficilement classable dans le pays alors en pleine politique d'apartheid. Jimfish fait quelques travaux dans le jardin du brigadier Arlow, riche propriétaire sous les ordres de Malala le Soviet, un communiste noir aux théories très farfelues qu'il enseigne à Jimfish. Lorsque le jeune homme est surpris alors qu'il enlace la douce Lunamiel, la fille du brigadier Arlow par ce même brigadier, il est obligé de fuir s'il ne veut pas mourir sous les coups. C'est alors le début d'un voyage de dix années partout dans le monde, de préférence dans les zones difficiles, non par choix, mais par destinée.
La première référence qui vienne en tête, à peine ce roman débuté et qui reste tout du long jusqu'aux ultimes mot, c'est Candide, de Voltaire. Cette fois-ci, ce Candide moderne et africain cherche le "bon côté de l'Histoire". Il se retrouve dans toutes les guerres civiles, conflits ethniques, révoltes de la décennie 84/94 : du Zimbabwe à l'Ouganda, en passant par la Roumanie et Berlin est au moment de la chute du mur, puis il reviendra en Afrique, du Zaïre au Sierra Leone en passant par le Liberia... Malala le Soviet serait son Pangloss, son maître à penser malgré une théorie bancale, bricolée : "La colère met le feu aux poudres. C'est l'antidote à la maladie, au cynisme et au doute. La fureur enflamme les masses et les projette du bon côté de l'Histoire. La rage est le propergol du lumpenprolétariat." (p.16). Cette rage revient souvent et les deux expressions, "le bon côté de l'Histoire" et celle particulièrement tordue le "propergol du prolétariat" sont les leitmotiv du roman et de Jimfish. Lunamiel serait sa Cunégonde qui subit beaucoup de revers et d'outrages.
Christopher Hope écrit lui aussi un conte philosophique. Il modernise le concept de l'homme coupable de tous les maux de la terre, capable de faire la guerre pour un bout de territoire ou pour des origines différentes. Il part de son pays qui a subi longtemps l'apartheid et qui, dans les années ou Jimfish est parti sur les routes, l'a aboli. L'Afrique du sud a fait l'inverse des autres pays qui se sont déchirés. Certes, tout n'y est pas rose, mais en 1994 lorsque le roman prend fin, Nelson Mandela est élu président, chose impensable pour Jimfish parti depuis seulement dix ans et qui a vu toutes les horreurs possibles, entre Tchernobyl, la fin de la dictature de Ceausescu,...
Malgré tout cela, comme son modèle littéraire, Jimfish est optimiste et le roman est drôle et profond. On sourit, non pas aux descriptions des événements, mais aux réactions de Jimfish, décalées, comme si ce jeune homme optimiste ne trouvait pas sa place dans l'Histoire. Il ne comprend ni la dictature et les morts qu'elle entraîne, ni l'exécution rapide et parfois sommaire des ex-dirigeants devenus opposants. En fait, il ne comprend pas qu'on puisse justifier la mort d'un Homme, même si lui-même devra y recourir, mais je vous laisse découvrir.
La fable de Christopher Hope est tout a fait réussie, un peu longue peut-être sur la fin -comme pour l'éternité selon Woody Allen, ou Franz Kafkha selon les sources- mais il faut dire que la décennie a été particulièrement riche en guerres, coups d'état, catastrophes... La naïveté de son héros permet de lire sans dégoût cette suite d'abominations. Elle permet surtout à l'auteur de montrer que l'Homme aime détruire et se détruire. Elle se lit très facilement et si l'on ne veut pas se jeter dans Voltaire parce qu'il fait un peu peur -à tort, bien sûr-, eh bien, la bonne idée, c'est de débuter par Jimfish, plus accessible, plus moderne et puis de se lancer dans Voltaire, parce que c'est Voltaire tout simplement.