Trop
Trop, Jean-Louis Fournier, Ed. La différence, 2014…,
C’est trop. Une expression courante désormais. C’est trop bien, c’est trop beau, c’est trop bon, … Et le "trop" perd de son sens. Le trop c’est l’indigestion, le choix démultiplié, la surabondance, la surenchère,… Jean-Louis Fournier dresse une carte de ses "trop" : beurre, tableaux, yaourts, médicaments, journaux, radios, savons, livres, …
Jean-Louis Fournier, ex-complice de Pierre Desproges, connu pour ses livres drôles ou tendres ou durs, Où on va papa ?, La servante du Seigneur, Il a jamais tué personne mon papa, entre autres. Il est très fort pour les petits textes, ceux qui font mouche en peu de signes, parfois légers, d’autres fois beaucoup moins, toujours avec de l’humour, noir, de désespoir, ironique, décapant, …
Trop, c’est le livre contre la surconsommation de tout poil. Celle qui nous fait acheter des yaourts à tous les goûts et à tous les coups, des appareils de plus en plus petits et puissants dont on n’utilisera même pas le quart du tiers des capacités. D’un homme qui lui parle de ses clefs USB sur lesquelles il peut mettre 8 000 livres, 2 000 chansons et 1 400 films, et qu’il emporte en vacances, JL Fournier constate : "J’ai fait un petit calcul : finalement, pour la semaine, ça ne lui fait que 1142 livres à lire par jour, 285 chansons à écouter par jour et 200 films à voir par jour." (p.26) Tout est sujet à consommation à outrance, les denrées alimentaires, les produits de beauté, la culture, les 17 000 places du Palais Omnisports de Paris Bercy qui sont de la démesure telle qu’on regarde les artistes sur les écrans géants, les 600 livres de la rentrée littéraire qui se musellent les uns les autres, les plus de 200 chaînes de télévision pour ceux qui ont des bouquets satellites, …
J’aime quasiment tout dans ce bouquin, je suis en phase totale avec JL Fournier au risque de passer pour des vieux cons ou pour des apôtres –moi, un anticlérical convaincu !- de la décroissance. On marche complètement sur la tête, et malgré ma volonté de ne pas exagérer, de faire attention, comme tout le monde je consomme voire surconsomme, je me crée des besoins dont je ne peux plus me dépêtrer.
Avec son style très personnel entre humour, tendresse, ironie et vacherie, JL Fournier sait me parler directement, ses chroniques sont justes, certaines carrément exactement ce que je pense, notamment "Trop d’infos" : "Les stations de radio et les journaux bégayent. Toute la journée, ils répètent les mêmes informations. "Le public a besoin d’être informé", prétendent les journalistes. Je n’ai pas envie de tout savoir. Pas envie d’être déformé." (p. 49). Et plusieurs autres, mais je ne peux pas tout citer.
D’autres sont légères, ou commencent légèrement, construites un peu comme un poème de Jacques Prévert : "Chaque quart de seconde sur la terre, une femme met un enfant au monde. Il faut absolument la retrouver pour lui dire qu’elle arrête." (p. 139) ou celle intitulée "Trop de beautés" et qui met en scène le prince qui ne sait laquelle de ses 400 femmes choisir.
Enfin, tout cela pour dire que le dernier JL Fournier vient de sortir et qu’il est bon. Que dis-je ? Il est trop !