Les saumons se perdent aussi

Les saumons se perdent aussi, Lionel Robin, Ed. du Pierregord, 2009
Pyc et Nikk sont frères. Ils parcourent les campagnes, toujours ensemble, inséparables. Ils ont grandi entre une mère douce, aimante, mais dépressive et un père autoritaire violent avec eux et avec leur mère.
Dans le même temps, les journaux régionaux se font l'écho de divers incidents, accidents, actes de rebellion effectués contre des sociétés, des entreprises, des usines qui polluent la Terre. Les flics de France sont en émoi et sur les dents.
Roman naturaliste ? Nature writing, comme on dit maintenant ? Roman de société ? Difficile de classer ce livre étonnant. Lionel Robin raconte simultanément la vie de Pyc et Nikk adultes, leur vie d'enfants et d'adolescents et relate les coupures de journaux relatifs aux actes "terroristes" tels que qualifiés par les autorités. Et puis, lorsque, la jeune femme apparaît -puisque jeune femme il y a dans la seconde partie du livre-, il rajoute sa vie à elle en tant que petite fille. Mais rassurez-vous, tout cela est fluide, limpide, et on ne confond personne. On se retrouve dans les époques sans aucun souci ni exercice de haute voltige intellectuelle. Habilement, grâce à des repères physiques et temporels, l'auteur identifie ses sujets.
On avance donc par petites touches dans cette histoire pas banale. Là où Caroline Bruno-Charrier décrit un monde futur apocalyptique, dans Croissez et multipliez, Lionel Robin préfère s'ancrer dans le présent et dans l'humour. En effet, à chaque fois qu'il fait monter la tension, le suspense, il intervient en tant qu'auteur pour houspiller ses lecteurs "qui écoutent la radio en même temps qu'ils lisent, ceux qui se raclent la gorge chaque fois qu'ils tournent une page ou ceux qui font des commentaires à haute voix et à chaque paragraphe" (p.81) et qui l'empêchent d'avoir le calme suffisant pour "travailler normalement". Il peut aussi, bien sûr féliciter la "sympathique lectrice-bibliothécaire" qui est tombée sous le charme du livre (et de l'auteur ?). Ses incursions dans le roman pour des remarques sans lien apparent avec l'histoire peuvent gêner, prêtent à rire ou peuvent agacer. Ou les trois options en même temps. J'ai d'abord ri, je me suis ensuite demandé si ce n'était pas quelque peu déplacé, et finalement, je trouve qu'elles donnent un côté "je ne me prends pas au sérieux" plutôt sain et salutaire. Bon, par contre, je crains que cette attitude ne vous nuise M. Robin. Les tenants d'une littérature de bonne facture vous le reprocheront. Ceci dit en toute amitié - je dis amitié, parce que même si nous ne nous connaissons pas, j'ai partagé vos sentiments pendant l'écriture de votre roman, je peux donc maintenant me permettre cette petite familiarité.
Bon, revenons à cette histoire bien écrite, dans une langue accessible mais qui dégage néanmoins une bonne odeur de français de qualité : chaque phrase est bien pesée, les descriptions des paysages permettent la visualisation des montagnes, des forêts, ... On a également Pyc et Nikk en image tout le long du livre. L'auteur maîtrise tout à fait ses effets, nous emmène gentiment mais sûrement dans son déroulement, nous rend sympathiques ses personnages, paumés mais forts d'une grande détermination, totalement inadaptés à notre monde et très proches de la nature. Dans son préambule, Lionel Robin annonce la couleur de ce que sera son roman, résolument écologiste et humaniste : "En guerre. [...] L'humanité se résume à ces deux mots ridicules, à ce mal implacable. Cette guerre, finalement il n'y en a qu'une, les détruit autant qu'elle détruit leur environnement. Jamais un animal ne va aussi loin dans la déraison. Même si le spectacle nous horrifie, un lion mâle dévorant ses petits ne veille qu'à préserver l'espèce parce que la démographie léonine atteint un seuil que le territoire ne peut absorber. Il préfère ce choix plutôt que d'avoir à chasser tant et plus qu'à la fin plus aucune antilope ne pourra nourrir tout le clan. L'homme ne régule pas : il accapare les richesses, se persuade qu'il y aura toujours une solution pour poursuivre dans cette voie suicidaire." (p.9/10) Une théorie dure à entendre, certes, mais jusqu'à quand pourrons-nous nous permettre de tout prendre, tout saccager, de réduire jusqu'au néant les ressources, les gisements, de polluer les terres, les eaux, ... ? Il est temps, grand temps, que, sans aller jusqu'au comportement léonin, cela va sans dire, nous réfléchissions, que dis-je, nous agissions et que nous fassions agir autour de nous et au-dessus de nous pour que nos attitudes et comportements individuels et communs soient respectueux de la faune de la flore et de la Terre.