Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La nébuleuse du crabe

Publié le par Yv

La nébuleuse du crabe, Eric Chevillard, Ed. Minuit, 1993

"La première fois que Crab fut pris pour un éléphant, il se contenta de hausser les épaules et passa son chemin. La deuxième fois que Crab fut pris pour un éléphant, il laissa échapper un geste de mauvaise humeur. La troisième fois, enfin, devinant que ses ennemis avaient comploté de le rendre fou, il ceintura vivement l'insolent et l'envoya valser à dix-huit mètres de là... Tel est Crab, dont ce livre voudrait rapporter quelques gestes remarquables et que l'on verra ainsi avec un peu de chances plier le ciel comme un drap ou se tuer par inadvertance en croyant poignarder son jumeau, puis devenir torrent pour mieux suivre sa pente. A moins évidemment qu'il ne se terre plutôt tout du long dans son antre obscur, s'agissant de Crab, on ne peut rien promettre." (4ème de couverture)

Ce livre n'est pas un roman tel qu'on l'entend habituellement avec un début un développement et une fin. C'est plutôt une suite de petites histoires, d'anecdotes plus ou moins longues, des sortes de mini-nouvelles -voire très mini- avec le même personnage principal presqu'unique, mais qui en fait n'est jamais le même, ou alors le même mais qui aurait vécu plusieurs vies, parfois ressemblantes parfois totalement opposées, vides, longues, mornes, vives, sanglantes, sexuées ou vierges de tout rapport, crues, violentes, totalement creuses, insipides, inintéressantes pour quiconque même pour Crab soi-même !

Tout n'y est pas de même intérêt : des longueurs, des paragraphes plus plats, moins cinglants, mais au détour d'un passage plus calme, on lit des aphorismes ou des phrases qui valent un arrêt de réflexion :

"Ainsi, le prix Nobel de physique a été décerné au professeur Y. pour ses remarquables travaux sur la désintégration fulgurante, tandis que Crab doit se contenter cette année encore du prix Nobel de la paix, ayant dérobé puis détruit les plans de la terrible invention du professeur Y." (p.22/23)

"N'ayant pas écouté le bulletin météorologique faisant état du froid intense qui règne sur le pays, et les pluies ininterrompues, Crab sort de chez lui en chemisette et profite tout l'après-midi d'un grand soleil estival, par ignorance, exactement. Il pourrait se tenir un peu plus au courant de l'actualité." (p.36)

Humour absurde, j'adore ! Mais il n'y a pas que cela dans ce bouquin. C'est un exercice de style. Eric Chevillard s'essaie à faire de belles phrases chiadées, à jouer sur les mots et les expressions et avec eux. Il écrit, se lit, se relit, réécrit, s'écoute écrire et le résultat est là, réussi. Il a du talent, une patte évidente pour tenir son lecteur jusqu'au bout de son raisonnement aussi absurde ou décalé soit-il. Et il ne faut rien passer trop vite sous peine de rater un passage à retenir, une formule, une phrase, un paragraphe, un assemblage de 2 ou 3 mots. Parfois, comme on l'a vu tout à l'heure, drôles, absurdes, "surréalistes", parfois poétiques :

"Sa longue pratique de la méditation solitaire lui aura au moins appris à distinguer toutes les qualités de silence qu'une oreille non exercée considère du même air stupide. Il existe donc -entre autres- un silence à cordes, un silence à vent, un silence de percussion, qui ne se ressemblent pas davantage que les instruments mêmement nommés, s'il arrive aussi que leurs harmonies se mêlent dans un silence symphonique ou alternent des mouvements lents et graves, ou martiaux, et de petites phrases sautillantes, de soyeuses arabesques, jouant ainsi sur des thèmes et des rythmes divers afin d'exprimer toute la complexité de la situation, quelle que soit d'ailleurs la situation." (p.27/28)

Et pour finir ce billet en beauté, voici l'extrait que je préfère de ce texte, il est musical encore une fois :

"Ce dimanche-là, sous les arcades, Crab avait pensé que oui, peut-être, il existerait une possibilité de bonheur pour le monde si l'exemple de ce glorieux musicien était unanimement suivi, qui aspirait par le nez l'air ambiant saturé d'infections, de gaz d'échappement, de virus, d'idées noires, et le remettait en circulation, purifié de tous ces miasmes, frais comme le premier printemps de la Terre avant l'éclosion des marguerites méphitiques, ou comme le premier gardon avant qu'il ne commence à puer le poisson, un air léger, vibrant, et la perspective tremblait jusqu'au plus lointain, et même les robustes piliers des arcades frissonnèrent au lieu de hausser les épaules comme ils font d'habitude, systématiquement, quand l'homme paraît." (p.29/30)

Un texte plus qu'une histoire. Édité chez Minuit. Normal !

Alex n'a pas aimé. L'auteur tient assidûment un blog intitulé L'autofictif.

Commenter cet article
A
Un petit livre assez "nébuleux"....
Répondre
Y
<br /> <br /> On ne peut rien te cacher<br /> <br /> <br /> <br />
K
Oui, celui e l'autofictif.<br /> Je me lancerais bien dans l'aventure!
Répondre
Y
<br /> <br /> Je le suis mais pas très activement, donc je rate beaucoup d'épisodes<br /> <br /> <br /> <br />
L
pas sûre que cela me plaise !
Répondre
Y
<br /> <br /> Le bouquin est petit, tu peux tenter l'expérience avec un exemplaire de la BM, c'est ce que j'ai fait.<br /> <br /> <br /> <br />