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Dans l'oeil du schizo

Publié le par Yv

Dans l'oeil du schizo, Hervé Jaouen, Presses de la cité, 2012

Jean-Luc Gouézec vit une belle vie de diplômé d'école de commerce. Issu d'un milieu favorisé, bourgeois, qu'il a tendance à rejeter assez violemment. Marié à Delphine, issue elle d'un milieu populaire. Deux enfants. Il perd son boulot, suite à une arnaque dont il est victime et tout s'écroule. La paranoïa latente se développe rapidement. Delphine craint pour sa vie et celles de ses enfants. Elle pense à le faire interner, mais trop tard, Jean-Luc est totalement parti dans un autre monde, une autre personnalité, sa paranoïa se double d'une schizophrénie sévère qui l'amène à partir et à laisser autour de lui cadavres et désolation.

Amateurs de polars ou thrillers, restez quelques secondes avec moi ! Amateurs de belle langue, de beaux paysages et de portraits très parlants rejoignez-nous ! Parce qu'il y a tout cela dans ce livre. D'abord, Hervé Jaouen, nous raconte l'histoire de cet homme, depuis sa rencontre avec Delphine jusqu'à la perte de son travail qui le propulse dans un monde parallèle. Avant déjà, il fait montre d'un caractère entier : "Le week-end suivant, les fiancés se déplacèrent à Vannes où les parents de Jean-Luc les reçurent à déjeuner dans leur hôtel particulier du centre-ville. Ils répondaient trait pour trait à l'image que Delphine s'en était faite à partir des réflexions lapidaires et peu amènes de Jean-Luc - "Des vieux cons qui ont toujours voulu péter plus haut que leur cul... Ils nous ont eu sur le tard. Moi d'abord, mes sœurs après, ric-rac sous le couperet de la ménopause et du cancer de la prostate...", chichiteux et perclus de conventions, directifs et péremptoires, courtisans et snobinards adeptes du naming de chef-lieu de canton." (p.31)

L'auteur sait faire monter la tension et l'inéluctable se profile vite, même si on a très envie de le retenir pour profiter un peu plus. Notamment les lettres que Jean-Luc écrit à divers personnes haut placées, comme celle-ci écrite au Président de la République :

"Monsieur le Président, vous possédez un Kärcher, moi aussi ! Faisons équipe ! Descendons ensemble, sans peur et sans reproche, dans la fosse aux grizzlis !

Et que sous les tirs croisés de nos jets purificateurs jaillisse du magma purulent ce cri que je pousse en vain : JUSTICE ! JUSTICE ! JUSTICE !

Créons notre entreprise de détartrage sociétal ! Formons un duo d'assainissement ! Nettoyons ensemble les silences excrémentiels !" (p.91)

Ensuite, dans la seconde partie du livre, l'auteur décrit une véritable chasse à l'homme, une poursuite de l'ennemi public n°1. Nous, lecteurs savons où il se trouve puisque nous sommes en partie dans sa tête, et c'est pas beau à voir. Parfois, on tremble en se demandant si Hervé Jaouen n'a pas lui-même vécu le même genre d'hallucinations que Jean-Luc Gouézec pour les décrire si bien. Un suspense habile, maîtrisé et mené à un rythme rapide de bout en bout.

Venons-en maintenant à l'écriture d'Hervé Jaouen. Vous avez pu vous rendre compte dans les extraits cités qu'il savait manier la langue. Il sait aussi en user pour décrire les paysages de la Bretagne, des monts d'Arrée : heureusement, ça repose entre deux hallucinations et pulsions meurtrières de Jean-Luc. Et puis, ce que j'aime chez cet auteur c'est aussi son talent pour brosser en quelques phrases un portrait bien senti. Quasiment aucun des intervenants dans ses histoires n'échappe à une description :

"Isolda était devenue ce qu'elle était en naissant : une celtisante quintessenciée, jeune fille aux yeux gris-bleu et aux cheveux châtain foncé, pas très grande mais joliment briochée, de rondeurs et de carnation. Dès son premier cri, ses parents l'avaient langée dans le Gwenn ha Du -le drapeau breton- et jusqu'à son présent au moulin de Meil Gouspérou sa vie n'avait été qu'une remontée en ligne droite vers des sources que ses parents avaient dû quitter pour prendre l'ascenseur social." (p.195)

Tous les personnages qu'ils soient tueurs, futures victimes ou témoins bénéficient d'une attention particulière de l'auteur et donc du lecteur, ce qui augmente encore la tension, car lorsqu'on connaît un peu mieux une probable future victime, on a moins envie qu'elle succombe des sévices d'un schizophrène.

Encore un excellent bouquin de Hervé Jaouen qui va finir par avoir un vrai fan en ma personne. M. Jaouen, j'adore votre écriture, votre manière d'y mêler différents niveaux de langue de la plus châtiée à la plus vulgaire, d'y insérer des néologismes et aussi d'accoler des termes qu'on ne voit pas souvent ensemble. Tout ce que j'aime en littérature. Si en plus, il y a une histoire qui tient la route et en haleine, je suis au comble du bonheur.

Merci merci Laura et H. Jaouen pour la dédicace.

région

 

challenge 1% thrillers

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S
oups! là tu me donnes carrément envie!
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Y
<br /> <br /> C'est fait pour... tu ne regretteras pas <br /> <br /> <br /> <br />
D
Je l'ai dévoré le week-end passé, celui-ci - il conjugue habilement la fable animalière sanglante et le portrait, tendu comme une corde à violon, d'une certaine bourgeoisie de province.<br /> Excellent!<br /> <br /> A noter que je garde de bons souvenirs d'autres lectures du même auteur, en particulier "La Mariée rouge" ou "Le Crime du syndicat", des romans plus courts et plus nerveux que "Dans l'oeil du<br /> schizo".
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Y
<br /> <br /> J'ai découvert H. Jaouen assez tardivement et je ne savais pas qu'il avait écrit autant que cela. Ce que j'ai lu de lui est vraiment très bon voire comme tu le dis excellent !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Quelle déclaration d'amour....<br /> Titre noté, bien sûr.
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Y
<br /> <br /> Franchement, les livres d'Hervé Jaouen valent le coup, celui-ci en particulier<br /> <br /> <br /> <br />
L
J'ai bien ri rien que sur le premier extrait. Allez savoir pourquoi, je me suis imaginé Vincent Delerme ayant musclé son discours.Je vais faire un détour par ce schizo.
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Y
<br /> <br /> Je ne l'avais pas vu avec V. Delerm, mais pourquoi pas. H. Jaouen excelle dans les desciptions typiques et vachardes.<br /> <br /> <br /> <br />
C
Salut Yv...<br /> Il y a des auteurs, parfois moyens, souvent bons. Et puis il existe des écrivains, tel Hervé Jaouen. La différence ? Les seconds nous font partager plus qu'une histoire (aussi palpitante<br /> soit-elle), en y ajoutant cette grosse pincée de style qui donne tout le sel d'un excellent roman.<br /> Amitiés.
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Y
<br /> <br /> Tout à fait d'accord avec toi, Hervé Jaouen sait nous tenir tout au long de ses romans magnifiquement bien.<br /> <br /> <br /> <br />