Charlotte Isabel Hansen
Charlotte Isabel Hansen, Tore Renberg, Mercure de France, 2011
Jarle, 24 ans voit un jour arriver dans sa vie d'étudiant chercheur une petite fille de 7 ans, Charlotte Isabel Hansen. Sa fille. Conçue lors d'une soirée très arrosée, avec Annette Hansen qu'il n'a ensuite jamais revue. Lui, l'intellectuel, très loin du monde réel, qui fait une étude sur l'onomastique (=science qui étudie les noms propres, merci M. Larousse) proustienne se trouve alors confronté à cette petite fille qui risque bien de chambouler son existence.
Ce livre débute bien, le premier chapitre, celui dans lequel Jarle apprend qu'il est père, est plutôt drôle et amène bien le personnage principal, sa vie, son œuvre :
- d'abord, le futur père pas préparé à l'être, pas motivé pour l'être et mis devant le fait accompli s'interroge sur sa paternité, puis une fois celle-ci avérée, sur ses capacités à y faire face, à s'occuper de sa fille, lui qui n'a d'expérience des enfants que sa propre enfance ;
- ensuite, le périple de Jarle pour arriver jusqu'à l'aéroport émaillé de rencontres et enfin la première fois qu'il voit sa fille et que Charlotte Isabel (dite Lotte) le voit. Voilà par exemple ce que ça donne lorsqu'il reçoit la lettre contenant le résultat du test de paternité :
" Jarle inspira et expira avec anxiété.
Il s'assit et ouvrit l'enveloppe.
Jarle lut.
Il lut et en resta bouche bée de stupeur.
Quoi ?
Était-ce possible ?
Il lâcha la lettre, la reprit immédiatement, et la relut.
Était-ce vraiment possible ?
Un enfant ?
Un petit enfant ?
Est-ce que lui, Jarle Klepp, avait un enfant ?
Est-ce que lui, Jarle Klepp, était père ?
D'un enfant ?" (p.30)
Et puis, dès le second chapitre, le livre revient en arrière, repose les mêmes questions sur la paternité, etc (pour la suite, prière de vous reporter plus haut). Il exploite le filon du premier chapitre, entre drôlerie et gravité, mais les blagues répétitives sont parfois lassantes.
Tore Renberg nous présente un héros peu sympathique, une espèce d'intellectuel élitiste qui comprend théoriquement qu'il peut y avoir des gens qui n'ont pas son intelligence et qui sont obligés de travailler de leurs mains, des manuels quoi, mais qui pratiquement les méprise. Le monde qui gravite autour de lui, des étudiants chercheurs eux aussi, des professeurs n'est pas plus gouleyant. Alors, certes, c'est de l'humour, de l'ironie, mais j'ai un peu de mal avec ce genre d'humour qui "généralise" et qui sous prétexte de faire rire stigmatise toute une catégorie. Ça peut être drôle à condition que ça ne dure pas. Hors, là, ça dure. Et c'est le plus gros reproche que je fais à ce bouquin : "Allez, Tore, c'est bon, fais-nous ton bouquin en 70 pages et c'est marre ! Après tu te répètes et tu n'es plus crédible !" Et oui, je suis comme ça, je le tutoie moi, le Tore. Mais si en Norvège, c'est comme en Suède, il paraît que c'est l'usage !
Et Lotte me direz-vous -si, si je compte bien que vous me le disiez, donc je réponds avant même que vous ne m'eussiez posé la question ? Et bien Lotte, elle est là pour faire exploser la vie de Jarle. C'est le détonateur, le candide qui remet tout le monde dans le droit chemin. Tout est tellement prévisible ! On sait en gros en ouvrant le livre comment il finira. Si j'avais mauvais esprit, j'userais des deux adjectifs suivants : caricatural, stéréotypé et téléphoné. Quoi ? J'en ai écrit trois ? Ah, c'est que j'ai encore plus mauvais esprit que je ne pensais.
La magie n'opère pas. Peut-être ai-je perdu l'innocence nécessaire à ce genre de lecture ? Et pourtant, je travaille avec des enfants de cet âge 24h/24h, ce qui devrait me permettre de rester jeune. Qui sourit ? Attention, je prends les noms !
Sélection du Prix des Lecteurs de l'Express.