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Ce que savait Jennie

Publié le par Yv

Ce que savait Jennie, Gérard Mordillat, Calmann-Lévy, 2012

Lorsque débute ce roman, Jennie a treize ans. Elle vit avec sa mère Olga, le compagnon de celle-ci Mike et sa demi-sœur Malorie, fille de Mike et Olga. Leur maison est située dans un terrain entre une voie ferrée et un terrain pollué, loin de tout. Toujours en chantier elle est encombrée de divers matériaux que Mike "récupère " à son travail. Les relations sont très fortes bien que tendues entre Olga et Jennie et seulement tendues entre Jennie et Mike. C'est dans cet univers familial pauvre que Jennie grandit, s'occupant de Malorie comme si elle était sa véritable mère.

Lorsqu'on ouvre un roman de Gérard Mordillat, on se doute qu'il ne va pas raconter la vie d'une famille bourgeoise ou aristocratique. Il parle du monde ouvrier, du prolétariat, monde bien souvent délaissé par les écrivains. Il décrit une famille en proie au travail précaire, au chômage, aux difficultés de s'instruire, de se nourrir, d'élever ses enfants, à la promiscuité, aux relations sociales limitées, du début des années 2000 jusqu'à aujourd'hui.  Caricatural ? Pas sûr. Sûrement pas d'ailleurs. Peut-être des traits un peu accentués, mais c'est une contrainte pour tenir cette histoire en 200 pages. Jennie est présente et lumineuse tout au long de ce bouquin, même aux moments les plus douloureux, elle est là, et toujours sa présence illumine les phrases. C'est un vrai beau personnage qui traverse les épreuves en cherchant à avancer, qui n'est jamais vaincue. Et pourtant, il lui en arrive des chocs, de révélations en événements, de rebondissements en tragédies.

Gérard Mordillat ne fait pas dans l'alambiqué. Son écriture est simple, directe, accessible ; phrases courtes, quelques descriptions de lieux ou de personnes (certaines sont terribles pour les décrits), dialogues. Tous les thèmes qui fâchent sont abordés : politique, chômage, travail des ouvriers mal rémunéré, licenciement et rémunération prohibitive des actionnaires, école, religion, même la télévision... L'auteur distille ses réflexions, ses perfidies tout au long des pages : c'est mordant, politiquement incorrect et tellement... jouissif, parce que bien dit !

"Quand elle était petite, au catéchisme, le curé leur avait parlé de la résurrection et leur avait présenté des images de Jésus montrant les plaies de son supplice à saint Thomas. Elle avait été punie pour avoir demandé comment ressusciterait un homme mangé par un requin puisque le Seigneur avait ressuscité avec ses blessures. Devrait-il ressusciter avec les siennes ? La question avait paru insolente." (p.56/57)

Sans apporter de solutions, il appuie là où ça fait mal : l'école par exemple qui peine à jouer son rôle : donner sa chance à chacun quel que soit le milieu social, qui n'a plu le temps d'apprendre à réfléchir : "Qu'est-ce qu'on t'apprend à l'école ? A être le meilleur, le plus performant, celui qui a les meilleures notes, celui qui rafle les prix... En réalité, on te dresse pour le marché. Pour te fourrer dans la tête l'idée de concurrence. (...) Ça sert à ça l'école. A faire de toi un type qui ne pourra pas penser en dehors de la concurrence et de la consommation. Question apprentissage de la liberté de penser, c'est pire que ce que faisaient les curés ! C'est la voie royale de l'aliénation. Tu ne crois pas qu'on peut très bien vivre sans vouloir être meilleur que les autres ?" (p.158/159) Et cette idée d'être le meilleur est tellement dominante que les parents le demandent instamment à leurs enfants. Pour avoir longtemps fait partie d'une fédération de parents d'élèves -j'arrête cette année, avoir de grands enfants permet de lever le pied sur certaines activités, mais bon, ça donne des cheveux blancs ! On vieillit, aïe, aïe, aïe- je peux affirmer que peu de parents s'engagent mais que beaucoup revendiquent pour une plus belle réussite individuelle de leur rejeton et non pas de l'ensemble des enfants. Dommage, mais malheureusement prévisible, la société actuelle privilégie l'individu plutôt que l'ensemble.

G. Mordillat n'est pas tendre avec les institutions, il ne critique point trop l'aide sociale à l'enfance, mon domaine d'activité, qui comme l'école, malheureusement, fait parfois ce qu'elle peut avec les moyens qu'elle a. Pas toujours facile de prendre en charge des enfants brisés par une famille explosée, qui le seront encore plus car totalement rétifs à des placements.

Bon, revenons à notre Jennie après mes digressions : Elle fait face à toutes les adversités. Son personnage domine : une jeune fille rebelle, mais avec de bonnes raisons, pas juste pour faire comme les autres.

Un roman de la rentrée littéraire qui devrait trancher avec le reste de la production par le monde qu'il décrit, par le contexte social et son héroïne "bouleversante et sublime" (4ème de couverture)

 

dialogues croiséschallenge 1%

Commenter cet article
S
C'est terrible cette gourmandise de mômes dans une pâtisserie qui nous saisit à la rentrée alors même qu'on sait que les bons livres sont au contraire ceux qui durent et seront encore là dans des<br /> mois, dans des années...<br /> ;-)
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Y
<br /> <br /> Oui, ce n'est pas faux, mais ce qui est bien c'est de pouvoir repérer celui ou ceux qui marqueront, et pour les autres, eh bien, parfois, ils nous font juste passer un bon moment et c'est déjà<br /> beaucoup !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Ton avis est plus positif qu'un autre billet lu ces jours-ci sur ce roman. Je le note, ne serait-ce que pour le milieu dans lequel il se déroule, si ignoré de nos auteurs en général.
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Y
<br /> <br /> Ce n'est pas un coup de coeur au mêm titre que les deux précédents de la rentrée, mais il n'est pas mal du tout<br /> <br /> <br /> <br />
K
Pourquoi pas, mais le côté dénonciation à tout va me laisse un peu perplexe... j'ai l'impression qu'il suffirait de montrer les choses, la vie de cette famille, sans tirer à boulets rouges sur<br /> telle ou telle institution (qui fait ce qu'elle peut)... Enfin, ce n'est que mon impression puisque je n'ai pas lu livre.
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Y
<br /> <br /> Ce n'est pas une dénonciation, mais plutôt un constat de ce qui ne fonctionne plus vraiment correctement, ce qui par la faute de multiples lois ne remplit plus vraiment sa fonction première. En<br /> fait, il ne critique pas les gens qui travaillent dans l'institution, mais plutôt les objectifs de cette institution ou ses petits moyens qui ne lui permettent plus de remplir sa mission.<br /> <br /> <br /> <br />
I
Comme Keisha, j'avais lu et beaucoup aimé Les vivants et les morts. Je note celui-ci qui a encore plus de chances, à première vue, de m'emballer.
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Y
<br /> <br /> Les vivants et les morts c'était vraiment un super bouquin !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Trop de rapport avec "Ce que savait Maisie"un mauvais souvenir de fac.
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Y
<br /> <br /> C'est probablement une référence, mais je ne saurai pas te dire s'il y a des rapports<br /> <br /> <br /> <br />
A
N'étant pas une acharnée de la rentrée littéraire (je lis ce qu'on m'envoie et c'est tout), je verrai plus tard !! Le thème change du reste effectivement...
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Y
<br /> <br /> Je lis également ce que l'on me propose et ce que l'on accepte de m'envoyer, ce qui fait déjà beaucoup, mais je ne lis pas particulièrement parce que c'est la rentrée littéraire. J'essaie de<br /> trouver des livres dont on parlera un peu moins ailleurs.<br /> <br /> <br /> <br />
K
Avec Mordillat, c'est sûr, on reste dans le monde ouvrier, souvent oublié par nos auteurs...Je n'ai lu que Les vivants et les morts.<br /> Sinon, Gilles Paris existe, je l'ai vu hier! ^_^
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Y
<br /> <br /> Les vivants et les morts est un livre excellent. Pour Gilles Pareis, je te crois sur parole : j'ai parlé à des stagiaires mais pas au grand chef !<br /> <br /> <br /> <br />