Borderland
Borderland, Vamba Sherif, Métailié, 2012
Wologizi, ville frontière d'un pays africain dirigé par le même homme depuis cinquante ans, Le Vieil Homme. Y descend d'un bus, un homme habillé très élégamment, William Soko Mawolo. Il vient, envoyé par Le Vieil Homme, enquêter sur la disparition mystérieuse de Tetese, l'ancien chef coutumier. Très vite, il se heurte au silence, aux fausses pistes et semble être le seul à entendre des bruits bizarres et effrayants.
Dans un style clair et sans fioriture, Vamba Sherif décrit la vie d'une petite ville loin de tout. Les coutumes y sont tenaces : les hommes et les femmes tiennent chacun leurs rôles respectifs et nul n'y déroge. L'étranger y est mal vu comme un porteur de mauvaises nouvelles ou de malheurs ou plus probablement des deux simultanément ou consécutivement. C'est dans cette ambiance lourde que William doit enquêter. L'atmosphère est pesante et poisseuse ; la chaleur, le moindre effort est fatigant.
Ce court roman n'est étonnamment pas vendu comme un polar, c'est vrai qu'il y a plus que cette enquête : l'histoire de cette petite ville reculée qui vit à un rythme qui lui est particulier, la société patriarcale, la découverte de ce qu'on peut obtenir avec un petit peu de pouvoir, une petite histoire d'amour, "les interactions entre le visible et l'invisible dans une société rythmée par les mystères de l'initiation" (4ème de couverture). Je cite ce passage de dos de jaquette, parce qu'il est assez hermétique et vague mais dans le même temps, il résume très bien une grande partie du livre. Une société africaine avec ce qu'elle véhicule d'irrationnel, de croyances ou de rites très anciens, mystérieux, inexplicables et parfois effrayants.
L'enquête de William est présentée comme un puzzle : chacun des protagonistes lui donne sa version des faits, qu'il doit ensuite confirmer ou infirmer avec d'autres personnes, qui elles mêmes peuvent mentir ou par volonté pure ou par peur ou encore par omission. On ne sait trop qui sait quoi, qui dit la vérité, c'est d'ailleurs assez déroutant, mais passionnant. C'est une construction convaincante qui tient le lecteur jusqu'aux ultimes lignes.
Pour vous allécher, n'ayant pas pu choisir un passage plus qu'un autre, je vous livre ici, sous vos yeux ébahis, les premières lignes de ce roman à découvrir absolument :
"Par un jour oppressant de la saison sèche, un homme descendit du bus et traversa la rue principale de la ville frontière de Wologizi. Il s'approcha d'un jeune homme penché au-dessus d'une citerne remplie d'eau. Le jeune homme regardait son reflet depuis un certain moment déjà, et le visage qui le salua dans l'eau claire portait un sourire béat. l'étranger boitait, mais avec le temps il avait appris à dissimuler intelligemment son handicap en se pavanant, si bien que le jeune homme qui avait entendu le bruit de ses pas et s'était maintenant retourné vers lui supposa qu'il était arrogant." (p.9)