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Allemagne, Allemagne !

Publié le par Yv

Allemagne, Allemagne ! Felipe Polleri, Éd. Christophe Lucquin, 2014 (traduit par Christophe Lucquin).....

Un Anglais fou, mort depuis plusieurs années, réincarnation de Christopher Marlowe ou de William Shakespeare voire des deux, raconte sa vie, sa participation à la seconde guerre mondiale en tant que membre du contre-espionnage de sa Majesté.

Un Allemand en état psychique proche du précédent prend le relais : fils de Josef Mengele, il raconte comment cet héritage est lourd et pourquoi il a dû tuer son père. 

Felipe Polleri est fou -je crois que son traducteur et éditeur l'est tout autant, d'abord pour s'être lancé dans l'aventure de l'édition (à ce propos, pour survivre, il lance un appel à contribution sur la plate-forme Kisskissbankbank, il serait fort dommage qu'il disparaisse), ensuite pour choisir des textes originaux et décalés et enfin pour traduire Felipe Polleri de l'espagnol (Uruguay). Pas fou dangereux, enfin, je ne crois pas, non, il écrit des livres : L'ange gardien de MontevideoBaudelaire. Ces deux derniers dont j'ai parlé ici même ne sont pas exempts de cette folie, tant celle de l'auteur que celle de ses héros. Allemagne, Allemagne ! est encore pire, si je puis m'exprimer ainsi. Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris. Ou plutôt, je suis sûr de n'avoir pas tout compris. Mais ce n'est pas grave, le plaisir de lecture n'est finalement pas dans le sens de ce qu'on lit mais dans les sons, les mots, la poésie, la violence, la folie, ...

Felipe Polleri procède par images, par allusions, des noms glanés ici ou là nous aiguillent sur notre lecture -à condition de posséder un dictionnaire ou d'aller visiter Wikipédia ou tout autre site d'informations. Beaucoup de références au docteur Prinzhorn, psychiatre allemand et historien d'art, qui a notamment observé les dessins et œuvres de fous ; il en a tiré un ouvrage qui a enthousiasmé Paul Klee et les surréalistes. Fort heureusement pour lui, il est mort en 1933 avant que les nazis lui fassent des misères puisque son travail faisait parte de ce qu'ils appelaient l'art dégénéré. Abondamment cité, il soigne les différents narrateurs de ce livre, il peut être aussi considéré comme l'inspirateur -ou le psychiatre ?- de l'auteur, tellement son écriture pourrait se retrouver qualifier de surréaliste ou d'automatique. F Polleri fait appel aux Fantômes, aux Martiens aux Krak : "Les humains s'étaient croisés, des millénaires plus tôt, avec les insectes, pour créer les Krak qui, comme tous les maîtres, avaient violé durant des générations les adolescentes martiennes. Le Fantôme, débarqué par erreur sur la terre quand il avait cinq ou six ans, nous avait confondus avec les Krak, et en nous tuant, ne faisait rien de plus que de venger sa mère." (p.47)

En tant qu'Uruguayen, il ne fait pas l'impasse sur les nazis venus se réfugier dans son pays et plus largement en Amérique du Sud (cf. SS in Uruguay, de Serge Gainsbourg, dans son excellent album Rock around the bunker, que j'ai eu en tête après cette simple phrase, page 166 : "Il y a des nazis en Uruguay")

Les trois narrateurs, Christopher, Parsifal et Antoine sont fous, pour diverses raisons : "En parlant d'autre chose, ce sont peut-être les coups que papa m'a donnés au cerveau dans le plus tendre des âges qui m'ont rendu fou. Des connexions se sont sûrement brouillées, et j'ai dû en créer d'autres pour continuer à fonctionner..." (p.56/57), un autre a subi une opération, très jeune dans laquelle les chirurgiens ont "extirpé l'euphorie de vivre" et "installé la timidité dans un bloc opératoire clandestin et oxydé", une sorte de résultat des expérimentations de J. Mengele.

Difficile pour moi d'en dire plus sur ce livre totalement décalé, que malgré ma relative -ou totale- incompréhension, je n'ai pas pu abandonner avant la fin (même si pour être totalement honnête, la troisième partie m'a moins plu), captivé et fasciné que j'étais par le pouvoir de Felipe Polleri à faire naître des sensations, à toucher son lecteur. Un bouquin unique. Un très beau travail de traduction, de correction (Edith Noublanche) et de mise en page (maquette : Marylin Cayrac). Que les éditions Christophe Lucquin vivent, elles le méritent parce qu'elles nous font découvrir des textes que l'on ne lirait pas autrement. 

 

rentrée 2014

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A
Faut-il être soi-même un peu fou-fou pour lire ce livre?
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Y
<br /> <br /> ça aide, mais ce n'est pas indispensable<br /> <br /> <br /> <br />
S
j'ai vu le soutien apporté par les blogueurs à cet éditeur, mais votre chronique me fait un peu peur, je crains le roman moyennement accessible.<br /> Comme vous, je souhaite à cet éditeur de garder le cap
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Y
<br /> <br /> Ce n'est pas le plus accessible chez l'éditeur, mais d'autres le sont, comme Chercher Proust, Lento, Un paysage ordinaire ou Grotte, pour ne parler que des derniers que j'ai chroniqués.<br /> <br /> <br /> <br />