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Le pays des pas perdus

Publié le par Yv

Le pays des pas perdus, Gazmend Kapllani, Intervalles, 2019 (traduit par Françoise Bienfait)....,

Karl et Frederick sont frères. Ils ont grandi à Ters, ville d'Albanie, sous le régime de Enver Hodja. Élevés par un père professeur, communiste et partisan du pouvoir en place et une mère assez tôt disparue. A la mort de celle-ci, Karl décide d'émigrer vers la Grèce tandis que Frederick reste à Ters. Ils se retrouvent vingt ans plus tard, au décès du père. L'Albanie a changé, Frederick est médecin, nationaliste et Karl, écrivain, plus ouvert. Il vit depuis cinq ans aux Etats-Unis.

Ce que j'aime chez Gazmend Kapllani, c'est que ces romans sont écrits dans une langue simple, très abordable (voir La dernière page, son roman précédent, déjà traduit par Françoise Bienfait), qu'ils sont courts et denses et qu'ils abordent des questions à la fois personnelles, individuelles et collectives. Cette fois-ci, c'est le changement des pays qui ont longtemps été dirigés par des régimes autoritaires et les bouleversements d'après 1989 et la chute du mur de Berlin, l'entrée dans l'Union Européenne et l'ouverture au capitalisme, ...

Mais c'est aussi la confrontation de deux visions du monde : le nationalisme qui monte un peu partout avec l'arrivée au pouvoir de gens aussi ouverts et sympathiques que les présidents ou dirigeants des Etats-Unis, du Brésil, d'Italie, Hongrie, et j'en omets. J'aime bien l'extrait suivant qui résume cela (c'est Frederick qui parle) : "Je me souviens d'un jour où notre père nous expliquait ce que signifient la faille, la nation, les racines. Karl avait rétorqué : "Les créatures humaines ne sont pas des arbres avec des racines. Les hommes ont des pieds et des rêves, ils veulent voyager, mais vous, vous les avez mis en cage comme des bêtes." Une violente dispute avait alors éclaté. Chaque fois que mon père et Karl se querellaient, quelque chose se brisait en moi..." (p. 61)

Cet extrait montre aussi la relation entre les deux frères, ratée sans doute par une trop grande différence d'opinion, l'un suivant aveuglément son père, l'autre s'ouvrant aux autres et à une pensée moins rigide. Et comme souvent l'individuel montre le collectif, le personnel touche l'universel. Comme dans son précédent roman, son héros a quitté l'Albanie pour la Grèce, puis y revient pour un décès et rencontre les Albanais restés au pays, chaque parti s'interroge alors sur ce qu'il a réussi ou raté si tant est que l'on puisse parler en termes de réussite ou de ratage. Gazmend Kapllani est lui-même un émigré albanais arrivé en Grèce puis aux Etats-Unis, il parle donc de ce qu'il connaît, de manière claire et remarquable. Un auteur qu'il faut absolument lire, édité chez les inévitables éditions Intervalles.

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M
Merci pour cette belle chronique qui me donne tout à fait envie de découvrir cet auteur. Ton extrait me touche beaucoup et l'histoire de ces deux frères si différents aussi. Je le note...
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Y
Très belle histoire, auteur à découvrir
A
Ce que tu dis de l'auteur sui s'appuie sur son expérience me tente.
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Y
On sent qu'il y a du vécu...
A
Sur l'Albanie, je n'ai lu qu'Ismaël Kadaré ; ce serait bien que je passe à un auteur contemporain comme celui-ci.
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Y
Pour ma part, je n'ai pas encore lu Kadaré, mais ça viendra
K
Et bien puisqu'il faut lire cet auteur, je le note de suite.
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Y
Franchement, c'est un romancier à découvrir
M
Ceux qui restent, ceux qui partent... Difficile de comprendre, de se comprendre. Merci pour cette belle chronique. Je note.
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Y
C'est cela, plus des opinions assez tranchées de part et d'autre, tout cela ne rend pas le dialogue aisé