Un monstre et un chaos
Un monstre et un chaos, Hubert Haddad, Zulma, 2019....,
Alter et Ariel sont des jumeaux d'une douzaine d'années. Ils vivent en Pologne à Mirlek avec leur mère. Bientôt, c'est la guerre et Alter se retrouve seul dans le ghetto de Lodz, dirigé par Chaïm Rumkowski, autoproclamé Roi des juifs. Sous la direction du nazi Hans Biebow, il transforme le ghetto en atelier industriel qui travaille pour les nazis, parade, va jusqu'à frapper monnaie et timbres à son effigie. Face à lui, des hommes et des femmes résignés, affaiblis, mais aussi des résistants dont Alter qui se faufile dans les rues du ghetto et refuse de porter l'étoile jaune.
Ce roman aurait pu être un énième roman d'un garçon pendant la guerre. Mais il y a la patte Hubert Haddad qui change tout. D'une part il place son héros fictif dans un contexte réel -Chaïm Rumkowski et comparses ont réellement existé- et apporte donc des éléments d'une terrible réalité inconnue ou oubliée. Pour ma part, j'avoue que je connaissais un peu le ghetto de Varsovie, mais pas celui de Lodz, et comme savent ceux qui me lisent régulièrement, j'aime beaucoup les romans qui sont ancrés dans un contexte réel, ils m'apportent beaucoup sur la connaissance de faits historiques et me sont souvent plus faciles à lire que des essais. D'autre part, Hubert Haddad use d'une langue particulièrement gracieuse et élégante. Les tournures de phrases dans lesquelles peuvent cohabiter la plus belle nature et la vision la plus terrible montrent combien cette guerre fut cruelle, terrible : "A moins de cent mètres, deux camions militaires s'étaient rangés le long d'un mur de cimetière, sur le bas-côté d'une route perdue au milieu des chaumes du plus bel ocre visités par des nuées de freux et de sansonnets. Des soldats bottés et casqués, fusil en bandoulière, descendirent du second véhicule et firent descendre à coup de crosse des jeunes gens du premier, garçons et filles, les mains ligotées dans le dos." (p. 64)
Je pourrais prendre n'importe quelle page de ce somptueux roman pour citer une phrase qui touche, émeut, par son contenu et/ou sa construction. L'écriture nécessite parfois de prendre son temps pour ne pas se perdre, on peut se laisser bercer par le plaisir des mots sans chercher à en saisir le sens et il faut donc y revenir parce que l'histoire du ghetto et d'Alter est importante et passionnante.
Fidèle à son oeuvre déjà remarquable, Hubert Haddad écrit là un roman fort et touchant, instructif, avec des personnages -je ne parle évidemment pas des bourreaux- d'une grande humanité. Sans doute, je l'espère, l'un des romans marquants et remarqués de cette rentrée.