Quichotte, autoportrait chevaleresque
Quichotte, autoportrait chevaleresque, Eric Pessan, Fayard, 2018.....
"S'est-on jamais demandé ce que ferait Don Quichotte aujourd'hui ?
Accablé par les nouvelles venues des quatre coins du monde, toutes plus terribles les unes que les autres, l'auteur de ce livre ne trouve de consolation que dans la littérature. Là se trouve l'ultime façon de résister au monde tel qu'il est. Là se trouvent les héros. Là se trouve le fabuleux chevalier à la triste figure, que l'auteur invite à revenir parmi nous.
Notre triste époque ne fourmille-t-elle pas d'éplorés à protéger, de torts à redresser ?
Et si, mieux encore que la consolation, de la littérature venait le salut ?" (4ème de couverture)
Eric Pessan, écrivain prolifique et néanmoins auteur de romans excellents que je ne pourrais pas tous citer ici (allez voir là et encore ce ne sont que ceux que j'ai lus...) écrit, un jour où l'actualité le blesse encore plus que d'habitude, sur son écran d'ordi DON QUICHOTTE. Et de ce nom part cette idée de construire un roman qui entremêlerait une vie du héros de Cervantès toujours accompagné de Sancho Panza de nos jours et les réflexions de l'écrivain sur la vie, l'écriture, la littérature, l'économie, la géopolitique, le monde étrange dans lequel nous vivons qui marche sur la tête, qui ne reconnaît plus l'humanité, la fraternité, la liberté, sur les hommes qui vivent aliénés par le travail, l'argent à gagner pour vivre, survivre ou amasser : "J'ai l'impression que ce livre doit être écrit ainsi, mêlant les aventures du Quichotte à mes questionnements d'écrivain. Et, surtout, j'en ai le désir. J'ai envie d'écrire, j'ai envie d'essayer, j'ai envie de tester cette structure, j'ai envie de me frotter au Quichotte, j'ai envie de faire vivre ma bibliothèque, j'ai envie de shooter dans ce qui m'étouffe, de prendre le réel entre deux mains et de le tordre jusqu'à en faire un nœud, comme les athlètes de cirque font d'une barre de fer. Et j'ai envie qu'il soit possible d'écrire juste parce que l'on en ressent le désir." (p.136)
Il est beaucoup question de littérature, des grands noms, de ceux qui ont écrit des livres importants, universels, qui ont donné le goût de la lecture à beaucoup et à Eric Pessan en particulier. Il est aussi question d'écriture, de ce travail dont beaucoup considèrent qu'il n'en est pas un, des efforts même corporels qu'il implique, des choix de vie sachant que peu d'écrivains vivent de leurs livres. Puis Eric Pessan parle aussi de ses indignations, de ses nausées lorsqu'il lit ou écoute ou regarde un journal d'actualité. Alors, il convoque Don Quichotte et Sancho Panza pour réparer les injustices, ce qui donne lieu à quelques passages épiques et drôles.
Certes, le livre n'est pas exempt de quelques longueurs et de répétitions dues à la manière dont l'auteur l'a écrit, sans relire la première partie avant d'aborder la seconde. Mais, malgré cela, je me suis régalé. D'abord parce que je partage beaucoup des points de vue, des indignations, des dégoûts et même des émotions et des sentiments de l'auteur. Ensuite, parce que ce livre n'a pas une forme qui permettrait de le ranger dans telle ou telle catégorie. Il est inclassable, perturbe donc un lecteur qui n'aimerait pas ne pas trouver de repères. J'adore ça quand un écrivain me trimbale loin des règles, des carcans et qu'il se joue des codes en abordant l'autobiographie, le roman d'aventures, la poésie, l'essai, le roman d'introspection, la farce, ... tout cela en un seul volume. Le texte coule aisément et l'on passe des aventures de Quichotte aux réflexions de l'auteur sans souci de compréhension ; les articulations se font naturellement comme si nous étions dans la tête d'Eric Pessan, ou dans la nôtre qui, parfois aussi saute d'une idée à une autre sans apparemment -mais il y en a- de lien. La seule difficulté éventuelle pourrait être dans le fait que ce-dit roman n'en est pas vraiment un tout en en étant un. Mais cette difficulté se transforme vite en découverte, puis en curiosité -ou vice-versa- et en réel plaisir de lecture.
Dire que je conseille ce livre serait un euphémisme, il faut le lire absolument, on cerne mieux après le travail d'un écrivain, un de ceux qui chaque jour se mettent à leur table de travail pour nous donner à nous lecteurs des moments inoubliables -ou pas-, du rire, de la joie, de l'émotion, ... Je pense avoir pris autant de joie à lire ce Quichotte, autoportrait chevaleresque qu'Eric Pessan à l'écrire.