Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Laëtitia

Publié le par Yv

Laëtitia, Ivan Jablonka, Seuil, 2016..,

Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, Laëtitia Perrais disparaît. Elle a dix-huit ans, est élevée en famille d'accueil près de Nantes et son corps est retrouvé plusieurs semaines après cette nuit-là, découpé, au fond d'étangs de la région. Le coupable est assez vite appréhendé : il s'agit d'un délinquant récidiviste, qui, jusqu'ici n'avait jamais tué. Le fait divers est bientôt affaire nationale car le président de l'époque, Nicolas Sarkozy s'en empare en accusant les juges de ne pas avoir fait leur boulot et d'avoir laissé un récidiviste en liberté non surveillée, un de ses thèmes de campagne -qui approche- préférés. Fait sans précédent, peu après, juges et avocats descendent dans la rue et manifestent contre le manque de moyens de la justice.

Ivan Jablonka écrit une étude sociologique et historique sur l'affaire Laëtitia. Il revient sur l'enfance des jumelles Laëtitia et Jessica, ce qui a amené un juge à prendre la décision de les retirer à leurs parents et leur parcours jusqu'à l'arrivée en famille d'accueil. Puis, il s'attarde sur leur vie dans cette famille d'accueil, chez les Patron. Lui, le père abusera de Jessica comme il a abusé d'autres jeunes filles.

Je n'ai pas suivi l'affaire très attentivement et pourtant -ou parce que- je suis moi-même assistant familial, avec le même employeur que Gilles Patron, mais je dois dire que dès les premiers instants, je ne le trouvais pas à sa place, puisque clairement, il prenait celle du père qu'il n'est pas pour les deux filles. Omniprésent et ostensiblement. Je n'aurais pas agi de la même manière mais serais resté en retrait et surtout, jamais je n'aurais accepté d'être reçu comme la famille par N. Sarkozy -bon, je crois que quelque soit la raison, je n'aurais pas accepté de rencontrer N. Sarkozy. La mise en avant de Gilles Patron, qu'il a lui-même orchestrée, me mettait mal à l'aise et c'est fort justement que cet homme devenu un "bon client" pour la presse fût descendu en flèche, assez violemment, par la même presse lorsqu'il fut convaincu de pédophilie et de relation coupable ou d'attouchements avec Jessica et certaines de ses copines qui passaient à la maison.

En fait, globalement ce livre me met mal à l'aise. Toute son ambiguïté est dans le fait qu'il dénonce la métamorphose de Laëtitia en un simple fait divers, une affaire qui passionne journaux et badauds pendants quelque temps, dépersonnalisant cette jeune fille de dix-huit ans, et que, quelques années après l'emballement médiatique et populaire, l'auteur participe lui aussi à cela en le rappelant à tous par le biais d'une enquête sociologique et historique.

Néanmoins, en remettant l'affaire dans son contexte historique régional, judiciaire et politique, Ivan Jablonka permet de réfléchir et de comprendre les attitudes de chacun à cette période. Nicolas Sarkozy en prend pour son grade. Il a voulu instrumentaliser l'affaire à des fins bassement politiques, reprochant aux juges de ne pas faire leur travail et dans le même temps en supprimant nombre de postes de fonctionnaires. Comme à chaque affaire un peu sensible ou médiatique, il a voulu légiférer sous le coup de l'émotion des Français plutôt que de prendre un temps de réflexion avant d'agir. Ivan Jablonka rend hommage à la justice et à ceux qui la font : juges, avocats, enquêteurs qui ont fourni un travail phénoménal pour faire juger Tony Meilhon l'assassin de Laëtitia et Gilles Patron le violeur de Jessica.

Il m'a été difficile de lire ce livre jusqu'au bout, car à chaque fois, je pensais à Laëtitia et à Jessica qui n'ont du haut de leur dix-huit ans à l'époque des faits subi que violences et trahisons des adultes. D'abord témoins de la violence de leur père, puis victimes de violences sexuelles de la part de celui qui devait les protéger -au moins Jessica, pour Laëtitia, rien n'est avéré-, puis victimes d'assassinat. Je dis victimes car, outre Laëtitia qui est morte, Jessica est elle aussi une victime qui a tout perdu et tente de se reconstruire. Cette histoire qui a eu du retentissement dans ma région et dans mon travail, mais c'est moindre mal par rapport à ce qu'on subi ces deux jeunes.

Commenter cet article
Z
Certainement pas facile à lire vu le retentissement et la proximité. Je ne pense pas lire ce genre de livre un peu trop voyeuriste pour moi
Répondre
Y
c'est un genre... finalement que je n'aime pas
A
Tu as fini par te lancer dans la lecture de ce livre. On sent que cela a été dur pour toi.
Répondre
Y
oui, cela a été dur, j'ai hésité longtemps, je ne l'aurais pas acheté, mais on me l'a prêté
V
Comme toi, j'ai été mise mal à l'aise par ce livre. Plusieurs éléments me gênent, notamment ce qu'il reproche à Sarkozy (moi non plus, je n'aurais pas accepté de le rencontrer ;-) ): j'ai l'impression qu'en écrivant ce livre et même s'il n'y a aucun doute sur le fait que ce livre est conçu comme un hommage à la victime, il fait comme Sarkozy, il utilise une histoire qui ne lui appartient pas.
Répondre
Y
Oui, c'est exactement ce que je ressens, même si les intentions du départ de I. Jablonka sont bonnes
M
Je l'avais noté moi aussi dans ma liste sans grande envie de le lire. Et tu me conforte dans cette idée que je ne le lirai pas ! Ce que tu dis je le comprends bien car c'est inutile d'écrire des livres sur ces drames humains. C'est révoltant de penser que des adultes responsables devraient,au contraire de causer du mal à ces jeunes filles, les aider à s'en sortir...L'auteur participe aussi à quelque part du voyeurisme ambiant pour de telles affaires et même s'il le fait dans une certaine dignité et esprit de justice, comme je l'ai lu, c'est prématuré de le faire à mon sens car c'est un événement encore beaucoup trop récent.
Répondre
Y
je ne sais pas si c'est la date qui fait que je n'ai pas accroché, c'est sans doute que j'ai voulu faire mon curieux par rapport à cette affaire qui a défrayé la chronique, particulièrement chez nous et chez mon employeur... d'autres le liront différemment.
H
Un livre original je le reconnais, mais cette exploitation du fait divers m'a dérangée
Répondre
Y
pareil pour moi
C
Bonjour Yves... <br /> De tels sujets, qui se basent sur des faits, des drames impliquant des personnes du quotidien, sont toujours compliqués à approcher. Ni Tony Meilhon, ni Gilles Patron, ne sont innocents, sans nul doute. Mais l'histoire va bien au-delà. Là où notre compréhension des éléments, notre empathie, ne suffisent sûrement pas...<br /> Amitiés?
Répondre
Y
Bonjour Claude,<br /> C'est exact et je ne suis pas sûr que Ivan Jablonka aide à aller au-delà, il reste beaucoup sur les faits et sur les personnalités des divers intervenants. Mais je crois que cette histoire me touche trop pour je prenne du recul, c'est sans doute mon point faible sur ce livre<br /> Amicalement,
B
J'ai beaucoup apprécié ce bouquin qui essaie d'être au plus près des faits, tout en rendant aux deux jeunes filles leur dignité et leur existence hors de l'"affaire". Mais ce qui m'a aussi beaucoup frappée c'est que ce récit met en lumière un monde qui est étranger à beaucoup d'entre nous, un quotidien peu connu, une sorte de "misère" banale. Il y a sans doute une sorte de voyeurisme à plonger ainsi dans la vie de gens qu'on ne connait pas, mais Jablonka le fait toutefois avec respect, et il montre les coulisses de ces faits divers avec justesse et beaucoup d'empathie.
Répondre
Y
Sans doute ce voyeurisme m'a t'il gêné, ce milieu, je le connais, notamment par mon travail. Je trouve que parfois I. Jablonka court dans ce qu'il dénonce et c'est cela qui m'a laissé perplexe et interrogatif sur le bien-fondé d'un tel livre