Extrasystoles
Extrasystoles, Carole-Anne Eschenazi, Éd. Cent Mille Milliards, 2015....
Dix-sept nouvelles composent ce recueil. Courtes, elles ont toutes en commun la vie de couple, l'amour, le désamour, la haine... les relations hommes-femmes. Les nouvelles, c'est tout un art, celui de plaire en quelques pages, Carole-Anne Eschenazi y parvient largement et à ceux qui objectent que la nouvelle ne permet pas de connaître assez les personnages, je réponds que parfois, il vaut mieux, l'auteure nous dressant parfois le portrait de certains mecs absolument abjects.
Lorsque je lis un recueil de nouvelles, je pointe sur la table des matières celles qui me plaisent le plus, et là, comme parfois mais rarement, j'ai quasiment tout pointé. Le livre débute avec des histoires pas gaies du tout, sombres avec parfois un humour noir ou désespéré pour ne pas dire une certaine cruauté, et puis d'autres histoires arrivent, légères pour certaines, seulement moins graves pour d'autres. Ce sont des histoires d'amour, de sexe -mais rien de porno ni même d'érotique-, de désir, de rapports entre les hommes et les femmes faussés par la mâle dominance. Car les hommes de Carole-Anne Eschenazi sont parfois de gros machos, de gros beaufs fachos qui ne supportent pas les noirs, les Arabes, la racaille, les femmes, les homos, ... ils peuvent être de différents milieux sociaux, l'aisance financière ne faisant pas l'intelligence, la découverte et la compréhension de la différence. Mais heureusement l'auteure ne s'arrête pas à ce stéréotype, elle parle d'autres hommes, amoureux, sensibles et curieux et des femmes qui subissent souvent la loi machiste, le désir masculin, qui se vengent parfois, se battent ou partent.
J'ai passé d'excellents moments avec les personnages de CA Eschenazi, j'ai aimé détester certains d'entre eux, en plaindre d'autres et en aimer beaucoup. Ce que j'ai apprécié également, ce sont les divers niveaux d'écriture, parfois directe, crue lorsqu'elle parle de sexe notamment : "Anthony est partageur. Quand il baise une nana, il aime bien la refiler ensuite à son meilleur pote. [...] L'odeur du pognon les [les filles] enivre. Elle leur monte d'un coup aux narines tout en leur descendant le string en même temps." (p.25, Bourre et bourre et ratatam), elle a le sens de la formule, des phrases courtes, rapides qui ne laissent pas le temps de s’épancher, elles collent en cela aux pauvres -mais riches- héros de cette nouvelle qui enchaînent les conquêtes. Mais CA Eschenazi sait aussi faire des phrases plus longues, plus douces lorsqu’elle parle de l’amour mais aussi de la bonté d’un personnage, de sa curiosité pour autrui : "Quand Jeff a commencé à désaltérer la gent humaine, ceux qui venaient s’affaler à son bar pour y chercher l’apaisement capiteux, c’était essentiellement des cocus ou des travailleurs ordinaires. Les uns chialaient sur la chiennerie de la nature féminine, les autres sur les difficultés rencontrées avec tel patron, tel collègue, tel client, tel contrôle fiscal."(p.146, La vie couleur bourbon).
J’ai aimé retrouver un personnage principal d’une des nouvelles faisant une silhouette dans une autre histoire, un lien entre toutes. J’ai aimé aussi les références littéraires franchement dites à Victor Hugo, Gustave Flaubert notamment et d’autres qu’on devine par les prénoms : Léopoldine, Doriane, Emma, Milo, Jean-Jacques, … J’ai aimé le thème principal du recueil qui court tout au long d’icelui : les rapports humains, bien vus, bien décrits en des histoires courtes.
CA Eschenazi écrit sur des thèmes récurrents : l’amour, le désir, la vie de couple, le désamour, la peur et de la haine de l’autre, la montée des extrémismes, la place de la femme –je mets ce thème en dernier, mais je pourrais dire que c’est un recueil féministe.
Une très heureuse surprise que ce livre des jeunes éditions Cent Mille Milliards (1014), disponible en version papier ou en numérique, tout est très clairement expliqué sur le site de l’éditeur, très bien fait, pratique et simple. En plus, j'aime bien la couverture, aérée, blanche avec écriture violette.