Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Trafic sordide

Publié le par Yv

Trafic sordide, Simon Lewis, Actes sud, 2009

Lorsqu'il apprend que sa fille partie étudier en Angleterre est en danger, l'inspecteur Ma Jian du bureau de la sécurité publique de Qitaihe, au nord-est de la Chine ne réfléchit pas et prend un avion pour aller la sauver. Inconvénient majeur, il ne parle et ne comprend que le mandarin.

Ding Ming, lui, jeune paysan chinois, parlant un anglais basique, vient d'arriver en Angleterre avec sa femme Petite Yi, clandestins. Ils sont séparés dès leurs premiers pas sur cette terre tant espérée. Ding Ming ne se résout pas à cette séparation.

D'habitude lorsqu'on veut de l'exotisme, on envoie un flic bien de chez nous dans des contrées lointaines. Là, Simon Lewis fait l'inverse. Il fait venir d'une région très éloignée, un flic aux méthodes rudes, habitué à être obéi au doigt et à l’œil par des populations tenues sous le joug de l'État chinois. En recherchant Wei-Wei, sa fille, Jian va se trouver confronter au réseau de passeurs de clandestins grâce auquel Ding Ming est arrivé en Angleterre. Le jeune homme sera d'ailleurs obligé de coopérer avec le flic, bien malgré lui. Il devra fermer les yeux sur les moyens qu'emploie Jian pour arriver à ses fins. L'opposition entre les deux, le flic autoritaire et revanchard et le jeune paysan subordonné et craintif de mal faire, joue à fond tout au long du bouquin. Entre un flic blasé qui ose tout et un jeune paysan totalement inhibé par son éducation, les principes qu'on lui a inculqués et la peur de nuire.

Un polar extrêmement rapide, malgré un passage central un peu long et lent (une grosse cinquantaine de pages sans doute évitables qui n'apportent pas grand chose) qui fait la part belle à l'action franche et virile, aux coups de feu : ça canarde un peu dans tous les sens. Ça pourrait être un énième polar rapide et violent en plus. Oui, mais. Car il y a un sacré "mais". L'auteur, qui a vécu en Chine longtemps ne se contente pas d'une action pure et dure. Il raconte le sordide des passages de clandestins et de leurs vies une fois arrivés en Europe : le travail pas payé, exténuant pour les hommes, les bars à hôtesses -je reste pudique, c'est pour ne pas dire "bar à putes"- pour les femmes, la misère pour eux, la menace sur leurs familles restées au pays, et l'obligation de rembourser les passeurs de sommes astronomiques avant d'acquérir la liberté. Il dit aussi les conditions de vie en Chine qui incitent les jeunes à vouloir quitter le pays pour trouver un eldorado lointain : "Et s'ils travaillaient dur, ils pourraient se faire jusqu'à une livre de l'heure. Ding Ming fut très content. C'était l'équivalent de quatorze yens et demi, autrement dit une très grosse somme, et on pouvait les gagner rien qu'en creusant dans la boue.  [...] Si on lui permettait de travailler dix ou douze heures par jour et sept jours par semaine, comme il l'espérait, il ne se ferait pas moins de quatre-vingts livres par semaine, soit plus d'un millier de yens. Quatre mille yens par mois ! C'était à peine croyable ! Dans son village, là-bas, il n'y avait qu'un patron ou un officier pour gagner autant !" (p.123/124) (Une erreur de traduction ? Je croyais que la monnaie chinoise était le yuan et non pas le yen ?)

En outre, on a le droit aux doutes, aux questionnements de Jian, homme qui vieillit et qui se rend compte qu'il n'a pas vraiment réussi sa vie : sa femme est morte dans un accident de voiture alors qu'il conduisait ivre, sa fille le fuit et vice-versa. Même ses convictions politiques en prennent un coup :

"Il avait aimé et détesté et idolâtré Mao, sans réserve. Il y avait eu des chants et de la passion, et le sentiment d'avoir un but dans l'existence. Puis, les temps avaient changé, et on lui avait montré que les lumières vers lesquelles Il lui avait appris dès l'enfance à diriger sa vie ne menaient nulle part. Les luttes passées s'étaient révélées une monstrueuse perte de temps. Mao, son idole, un vieux chnoque et un tricheur. Bref, on ne l'y reprendrait pas. Il ne croyait plus en rien -il ne fallait compter que sur la chance ou sur l'argent, et mieux valait avoir l'un et l'autre." (p.45)

Voilà donc pour ce polar sociétal, qui décrit les désillusions des uns et des autres, les espoirs des plus jeunes en une vie meilleure et un vieux flic blasé que seul le sauvetage de sa fille en danger maintient en vie et dans l'action.

Très bon roman policer qui sait allier avec finesse les plus intimes des émotions et des questions à une violence très présente. Beau travail !

Lu sur Babelio.

Commenter cet article
A
Une idée de départ originale, en effet.
Répondre
Y
<br /> <br /> La suite l'est aussi entre deux canardages.<br /> <br /> <br /> <br />
L
Pleine periode polar ? Mais que va t'il rester pour les vacances ?
Répondre
Y
<br /> <br /> D'autres polars, bien sûr... Ou alors des classiques ?<br /> <br /> <br /> <br />