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La vie est un tango

Publié le par Yv

La vie est un tango, Lorenzo Lunar, Éd. Asphalte, 2013 (traduit par Morgane Le Roy)

Léo Martin est commissaire dans le quartier de son enfance dans la ville de Santa Clara, à Cuba. Il s'occupe des petits trafics en tout genre, ferme souvent les yeux pour ne pas léser ses copains d'enfance et pour que chacun puisse vivre et gagner quelques malheureux pesos. Léo tente également de vivre entre Luisa sa compagne, Mariana son ex-femme et Mayita, une prostituée pour qui il éprouve un désir et un sentiment ambivalents. Lorsqu'un jeune homme est assassiné dans le quartier, César, son chef lui demande d'enquêter dessus et sur la cause présumée de ce meurtre, un trafic de lunettes.

Après une ou deux rencontres ratées entre les éditions Asphalte et moi sans lien avec la qualité des livres qu'elles proposent, mais juste parce qu'ils ne me convenaient pas, en voici une belle, réussie. Je suis entré tout de suite dans ce roman noir et ne l'ai plus lâché jusqu'au bout : tout me va : le thème, le contexte géographique, l'écriture et le format condensé, 158 pages. Le thème : roman noir, policier sans violence, sans hémoglobine ou cadavre décrit avec minutie. Léo n'intervient que sur des petits trafics, ne voit pas tout ce qui se passe autour de lui, parce qu'il idéalise son quartier et qu'il vit sur ses souvenirs d'enfance. Il a été placé à ce poste de commissaire par un des cadres du parti, a été formé à La Havane puis est revenu travailler à Santa Clara. Son emploi n'est pas de tout repos, seul dans son quartier à en assurer la sécurité, qui lui a déjà valu la séparation d'avec Mariana et de ne plus beaucoup voir leur fille Yanet. Il est en train également de mettre en péril sa relation avec Luisa qui lui reproche ses absences et ne sait pas prendre de décisions quant à sa malsaine relation avec Mayita, la prostituée. Outre ces questionnements, Léo doit faire face à l'enquête demandée par son chef et va découvrir une facette de son quartier qu'il ne connaissait pas ou qu'il ne voulait pas voir. Cette enquête et la vie de Léo tiennent le lecteur jusqu'à la fin sans jamais d'ennui, d'envie de passer des pages, et lui permettent d'améliorer sa connaissance de Cuba. Le contexte géographique est finement décrit, on comprend aisément la difficulté de vivre dans un pays en crise dans lequel on ne peut pas toujours tout dire, dans lequel certains ne peuvent vivre que grâce aux trafics, au travail au noir, où la prostitution est quasiment le seul moyen pour certaines femmes de s'en sortir et de faire vivre leur famille. Fela, la mère de Léo est celle qui fait le lien entre l'avant 1959 et la vie actuelle sous Castro : les idéaux oubliés, la misère pour beaucoup : "Avant, une prostituée était mal vue. Sa famille la reniait. Elle devait oublier père, mère, frères et sœurs et faire sa vie seule, jusqu'à la fin. Maintenant, il faut voir avec quel toupet les mères racontent que leurs filles font le trottoir." (p.48), celle qui tente d'ouvrir les yeux de son fils sur l'état du pays, sur sa vie.

L'écriture est directe, va droit au but et s'attarde peu sur les descriptions des paysages et des personnages, tout juste sait-on qu'untel est dégingandé ou bien au contraire gras ou qu'unetelle a un beau cul et de grandes jambes (les prostituées qui traversent le livre sont les plus décrites). Les tourments de Léo sont écrits également franchement : "Parfois, je me dis que mon problème, c'est la peur. La peur peut être héréditaire. Oui, j'ai la trouille. La trouille depuis cette fameuse nuit où j'ai vu le corps de Pinky porté à bout de bras, dans la foule, atteint par le coup de poignard mortel d'un délinquant. J'ai peur de subir le même sort. Peur de crever. Et peur de tuer aussi, parce que je suis convaincu que cela peut arriver un de ces quatre. Il suffit d'une détente sur laquelle appuyer ou d'une prise de karaté." (p.41/42)

Pas de chichi dans le discours, le langage peut être cru, la violence est décrite, présente, quotidienne, celle des hommes frappant les femmes, celle des gens ne trouvant pas de quoi manger, celle des envieux de ceux ou celles qui "réussissent" fut-ce en vendant leurs charmes, ...

C'est un roman noir social duquel sort peu d'espoir, les personnages semblent résignés, désabusés, englués dans des vies difficiles, dans un pays qui ne bouge pas. On ne peut pas dire que Cuba soit à la pointe de la démocratie et que les Cubains vivent dans l'aisance, ce qui ressort très bien de ce livre. Un très bon roman noir dans la lignée de ce que j'ai pu lire de Leonardo Padura, avec un côté plus actuel notamment dans le langage ; vous auriez tort de passer à côté.

Merci Estelle.

 

thrillers

Commenter cet article
H
j'aime beaucoup le titre je trouve cette image très vraie...
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Y
<br /> <br /> Je ne connais pas bien le tango, mais l'image est belle... plus joyeuse que le fond du roman<br /> <br /> <br /> <br />
L
Je le note, j'aime la chronique que tu as faite sur ce livre :)<br /> bon week-end Yv !
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Y
<br /> <br /> merci, le livre mérite qu'on le découvre<br /> <br /> <br /> <br />
Z
Je vais découvrir tout ça
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Y
<br /> <br /> Bonnes lectures alors<br /> <br /> <br /> <br />
Z
Je l'ai mis dans les bouquins que j'aimerais lire; très tentée
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Y
<br /> <br /> Une maison d'édition spécialisée dans les polars sud amériacins qui fait du travail de qualité<br /> <br /> <br /> <br />
A
Tu as bien fait de persévérer.
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Y
<br /> <br /> Comme quoi effectivement, c'est parfois une question de moment<br /> <br /> <br /> <br />
K
Si tu parles de Padura... voilà un argument!
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Y
<br /> <br /> Très différent de Padura, une certaine filiation peut-être. Lorenzo Lunar a été l'écrivain cubain le plus lu, l'année d'après Padura<br /> <br /> <br /> <br />