La tête à Toto

La tête à Toto, Sandra Kollender, Ed. Steinkis, 2012
"- Écoute Anna, ton bébé est gravement malade, mais tu sais il pourrait être handicapé. Ah, OK, il est handicapé ? Mais tu pourrais être une mère célibataire. Ah, ça aussi ? Bon, mais ne te plains pas, je te rappelle que le père de ton fils est vivant alors que ton amoureux d'avant est mort d'un cancer. Tu vois, ça va tout de suite mieux non ?"
J'ai préféré ces phrases d'accroche à un résumé fait par mes petites mains et mon petit cerveau parce qu'elles résument à la fois le contenu du livre et le ton général, qui oscille entre gravité et humour. Roman autobiographique d'une mère qui se bat pour que son fils handicapé, qui se développe beaucoup plus tardivement que la "moyenne", qui ne parle que très peu et encore dans un charabia difficilement compréhensible par quelqu'un d'autre que sa mère, puisse progresser, et soit reconnu pour ce qu'il est : un enfant avec plein de possibilités d'évoluer et empli d'espoir et d'amour.
Qui s'intéresse un peu à l'insertion des enfants que l'on dit différents, handicapés moteur ou physique sait que le parcours des parents est extrêmement ardu, que les arcanes des administrations sont tortueuses et surtout que les moyens financiers n'y sont pas ! Sandra Kollender explique, démontre et raconte son véritable chemin de croix pour tenter de faire inscrire son garçon dans des écoles, pour même, dès le départ trouver un professionnel de la santé qui lui posera un diagnostic et l'aidera à faire progresser son fils.
Bon, je ne voudrais pas plomber l'ambiance d'autant plus que ce roman qui traite de questions difficiles est aussi très drôle. Parce que Anna, la narratrice, veut aussi vivre pour elle. Pas évident de concilier le rôle de mère d'enfant handicapé, celui de femme-seule-qui-voudrait-encore-se-faire-peloter, celui de copine. A ce propos, quel dilemme le soir où elle doit choisir entre la copine et le mec qu'elle vient de rencontrer :
"Je lui explique que je ne peux pas planter la copine avec qui j'ai rendez-vous ce soir mais que je vais voir ce que je peux faire. Je te rappelle plus tard. Salut.
Si j'accepte, je passe pour la nana qu'on siffle et qui arrive. Pas bon pour la suite. Si je refuse, je ne roule pas de pelle, je ne me fais pas tripoter et en plus j'y pense toute la soirée. Pas bon non plus." (p.103)
Elle adopte un ton décalé, se moque d'elle-même, de son fils, ironise sur les professionnels qui ne lui disent rien -parce qu'ils ne savent pas dépister le handicap rare de son fils-, va parfois jusqu'à leur vouloir un peu de mal, mais juste un peu, rien de grave : "Je te souhaite de pourrir de l'intérieur, de perdre la vue, l'usage de ta main droite, d'être incontinent, insomniaque, migraineux, d'être bouffé très lentement par les vers, et de souffrir atrocement jusqu'à la mort, espèce d'ignoble charlatan." (p.22). Prendre la vie de ce côté, rire un peu de tout, expulser sa rage de cette manière, c'est aussi le moyen pour elle de pouvoir continuer à dépenser autant d'énergie pour Noé son fils.
"Noé a dix mois. Voilà c'est tout.
C'est la totalité de ses états de services.
Noé a vaillamment atteint les dix mois. C'est une performance. On l'applaudit le plus fort possible, ce qui nous fera oublier qu'il ne tient toujours pas sa tête." (p.40)
Ce petit livre, 155 pages aérées, de format idéal pour une poche et pour lire dans les transports en commun, (mais prévoyez des lunettes si comme moi l'âge arrivant, vos bras ne sont plus assez longs pour lire sans aide oculaire, car la police est petite -la police de caractère bien entendu, jamais, je ne pourrais laisser entendre que les forces de l'ordre...) est surtout un livre d'une grande tendresse et d'un amour fusionnel mère-fils. Il ne changera pas la vision générale que la société a des handicapés, mais il permet de montrer le quotidien de parents d'enfants handicapés, toutes les démarches épuisantes et souvent vaines qu'ils sont obligés de mener pour tenter de les faire accepter. Mais surtout, il montre combien l'amour d'un enfant handicapé est au moins aussi fort que celui d'un autre enfant et combien cette récompense réconforte et redonne de l'énergie pour aller encore plus loin, malgré l'abattement qui parfois gagne du terrain.