Sous le vent
Sous le vent, Jean-Bernard Pouy et Joe G. Pinelli, JC Lattès, 2012
Pol a fait la guerre, la Grande, celle de 1914/18. A l'issue du conflit, il retourne dans son village de Bretagne. Il retrouve Adèle sa femme dans les bras de son meilleur ami, Vincent. Plus rien ne le rattache alors à ce pays, il décide donc d'embarquer pour une destination choisie au hasard d'une fléchette sur une carte : les îles sous le vent. Après avoir mis le feu à sa maison pour ne rien regretter et ne jamais revenir, il part.
L'histoire écrite par JB Pouy est illustrée par Joe G. Pinelli : ses dessins font immanquablement penser à Gauguin au moins à l'image que le grand public (donc moi) a des toiles de ce peintre. D'ailleurs les héros ne s'appellent-ils pas Pol (comme Gauguin) et Vincent (comme Van Gogh) ? Une fois que j'ai dit cela, il devient presqu'inutile de dire que les illustrations sont superbes. Elles collent au texte qui lui-même fait la part belle aux tons, aux teintes : "Après la longue traversée où tout était couleur de plomb et d'orage, Pol avait enfin découvert des couleurs où le rouge, l'incarnat, le grenat, le garance n'étaient plus dominants, il n'y avait que les petits remorqueurs, ceux qui tractaient les navires dans le chenal qui étaient encore peints de la couleur du sang. Tout le reste était un mélange de bleu et de vert, un camaïeu d'émeraude, d'outremer, de ciel minéral et de pétrole. Et, pour la première fois, le bleu horizon, de Prusse ou la ligne des Vosges ne lui rappelait plus les uniformes : c'était un bleu paisible, marin, un azur lourd et profond, habité, celui des profondeurs où de grands mammifères s'ébattent, un bleu d'orque et de baleine." (p.65)
Ce livre décrit la relation de Pol avec le monde qui l'entoure : ce monde de la nature et de la couleur, des hommes et des femmes qui vivent au jour le jour sans se poser de multiples questions avant d'agir. Une sorte de Paradis pour un rescapé de la guerre en proie à de multiples interrogations, à des rêves lourds et à des résurgences de son passé dont il se passerait bien, et qu'il essaie d'ailleurs de faire passer. Mais le romancier n'est point trop simpliste disant que là-bas au Paradis, tout se passe bien, qu'on y est forcément heureux : "La paix ne pouvait se trouver que dans le cœur des hommes, pas dans les lieux où ils habitaient. [...] Et tous les jours, il se demandait si les gens de ces îles arrivant en Europe, amèneraient ce bonheur qu'ils semblaient vivre et qui nous étonnait tellement nous, les soi-disant malheureux." (p.144/145)
Énormément de poésie dans ce roman intériorisé. Beaucoup de termes qui parlent des couleurs, de la nature, des femmes des îles : une écriture en douceur pour raconter d'une part la beauté des paysages et des habitants et d'autre part les horreurs de ce début de siècle en Europe.
Je connaissais plus JB Pouy pour ses polars, je m'aperçois avec bonheur qu'il peut changer de style en continuant d'écrire des romans de qualité. Les dessins de JG Pinelli ajoutent encore du charme à cette histoire.