Des gens très bien
Des gens très bien, Alexandre Jardin, Grasset, 2011
Alexandre Jardin est un écrivain populaire, célèbre pour ses romans légers, des bluettes. Ce que l'on sait moins, c'est que son grand-père "Jean Jardin dit le Nain Jaune fut, du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, le principal collaborateur de plus collabo des hommes d'Etat français : Pierre Laval, chef du gouvernement du maréchal Pétain. Le matin de la rafle du Vel d'Hiv, le 16 juillet 1942, il était son directeur de cabinet ; son double. Ses yeux, son flair, sa bouche, sa main. Pour ne pas dire : sa conscience." (p.11)
Depuis longtemps, la famille Jardin renferme ce passé peu glorieux sous des pirouettes : même les biographes de Jean Jardin ne parlent que peu de cet épisode. Son fils, Pascal Jardin -le père d'Alexandre- a lui aussi écrit un livre sur Jean, Le Nain Jaune, dans lequel il évoque très vite, sans s'arrêter, cette période de la vie de son père. Rien n'est dit dans cette famille, sauf en rigolant. D'ailleurs, Alexandre l'avoue lui aussi : s'il a écrit des romans légers, faciles, c'est pour rester dans la ligne familiale, pour évacuer ce secret dans des éclats de rire.
Et puis, approchant de l'âge du décès de son père, Alexandre ne peut plus dissimuler. Il écrit sur son grand-père, lui qui compile depuis des années de la documentation sur la rafle du Vel d'Hiv (13 000 juifs déportés dont 4 000 enfants), sur les années de guerre et sur l'implication de son grand-père dans la collaboration active du gouvernement de Vichy.
Je n'ai lu aucun autre livre d'Alexandre Jardin, je ne peux donc pas comparer, mais j'imagine assez bien ce qu'était sa littérature avant Des gens très bien. Naïvement, je pensais qu'il écrivait comme il se doit dans ce genre de livres, légèrement et avec un vocabulaire volontairement limité. Là point ; son livre est bien écrit, beau style, quoique parfois un peu ronflant. Heureusement d'ailleurs, car le propos est fort et pesant, et sans style, le récit serait indigeste.
On pourrait lui reprocher de dénoncer et de juger 70 ans après les faits, certes. Mais ce livre, sert plus à Alexandre pour se libérer de son ascendance pesante. Il le dit d'ailleurs dans ses dernières phrases dans lesquelles il s'adresse à son père, Pascal : "Plus tard, tu ne pourras pas vivre avec le secret des Jardin. Il te tuera. Tu feras un livre pour le camoufler. Au même âge que toi, j'en ferai un pour l'exposer. Et je vivrai la deuxième partie de ta vie... la mienne. En essayant d'aimer Jean, un jour. Dors, dors mon petit papa..." (p.295)
Dans l'ensemble, j'ai aimé ce livre, qui part très vite et annonce la couleur dès les premières pages. Cependant, je dois admettre que sur les presque 300 pages, Alexandre Jardin tourne en rond et se répète. Assez mal reçu, d'après ce que j'ai pu entendre et lire, -il est indéniable que l'auteur doit moins gêner en écrivant Fanfan- ce bouquin revient donc sur des années dont la France n'est pas fière. En outre, Alexandre Jardin, n'y va pas avec le dos de la cuillère ! Il flingue. Des critiques lui reprochent ce que d'autres approuvent (lire ici). Selon eux, qui n'est pas historien ne peut pas savoir et a fortiori écrire sur cette période. Mais Jardin écrit avec ses tripes, avec ses gènes, avec ses rancoeurs mais aussi avec l'amour qu'il a pour les siens, père et grand-père notamment.
Maladroit parfois, redondant souvent, intéressant et remuant tout du long c'est un livre qui ne laisse pas indifférent et on ne peut pas, enfin il me semble, en ressortir sans avoir rien éprouvé.
Un "livre étrange que je tiens pour mon acte de renaissance. Le cri de chagrin par lequel je me désassigne de mon passé" dit l'auteur page 271. Une renaissance pour Alexandre Jardin, qui ne pourra donc plus revenir en arrière et écrire ce qu'il écrivait précédemment.
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