Barbares
Barbares, Erik Rémès, LC Éditions, 2011
Le narrateur est le Barbare. Le chef du Gang des Barbares qui enlève, séquestre et torture un jeune homosexuel, par pure homophobie et appât du gain puisqu'il demande une rançon. Celle-ci tardant à arriver, s'installe un rapport très malsain et extrêmement violent entre le détenu, "l'Enculé" et le kidnappeur, "le Barbare".
Dire que ce livre est violent est un doux euphémisme. Inspiré par le gang des Barbares et Youssouf Fofana qui ont enlevé, torturé et tué un jeune juif, Ilan Halimi en 2006, Erik Rémès se met dans la tête du chef des barbares qui raconte d'une part l'enlèvement et la séquestration et d'autre part son histoire et la montée de la violence en lui et dans la société. "La violence des mots fait partie de notre monde. Elle s'incruste au bahut. Où se forgent nos langages assassins ? Cette barbarie verbale du quotidien qui conduit certains -et pas les plus fragiles, au contraire- au passage à l'acte." (p.18)
En progressant dans la lecture, on apprend comment on peut en arriver à ce stade ultime de la violence de la haine et de la négation de l'autre en tant qu'individu. Il n'est pas dans le propos de l'auteur ni dans le mien de minimiser les faits au regard de l'enfance miteuse des uns et des autres, mais juste de montrer comment un environnement, des fréquentations, des mises au ban de la société systématiques du fait de son origine sociale ou ethnique marquent profondément les êtres. Parfois, cela peut être bénéfique et donne une volonté ancrée de s'en sortir. Parfois, c'est l'inverse, et dans ces cas-là, plus fréquents malheureusement, la chute peut être rude et vertigineuse.
Erik Rémès par le biais de son narrateur aborde beaucoup de points d'actualité comme la prison, la vie dans une cité, les communautarismes non pas ethniques mais de quartiers, de cités et l'intégration : "Ce projet de loi sur l'immigration du nain de jardin est fondé sur l'inhospitalité et le rejet de l'autre. Le monde actuel pousse les migrants à perdre leur culture au prix d'une désintégration. Nous, les émigrés, sommes inquiets, paranos. L'angoisse monte même chez les étrangers qui ne sont pas concernés par ce texte, parce qu'ils ont déjà des papiers, un travail, un logement. Toutes les positions se radicalisent. Comme on se sent menacé dans notre identité, on se recroqueville. Personne en peut s'intégrer dans une société inhospitalière." (p.42)
Dans une belle écriture empruntant à tous les registres, l'auteur fait monter la tension entre les protagonistes. Le livre est un long monologue : le Barbare s'adresse mentalement à l'Enculé : "Tu finis même par accepter ta nouvelle réalité. Des contacts positifs s'établissent avec nous, alors que nous sommes si différents. Oui, tout nous sépare. Mais nous traversons ensemble un putain de drame extraordinaire. Tu n'as plus que le Gang des Barbares pour t'identifier comme être humain." (p.38/39) Évidemment, la suite n'est pas du même acabit. La violence monte, s'instaure et devient presque insoutenable dans les toutes dernières pages (âmes sensibles prévoyez des moments difficiles). Mais, ne les passez pas ! Il serait dommage de ne pas lire ces passages parfois très crus qui ne sont finalement pas plus durs ou violents que ce que l'on nous raconte quasi quotidiennement. Ils ne sont pas plus durs ou violents que certains passages de thrillers qui se vendent comme des petits pains, sauf que là, dans le livre d'Erik Rémès cette dureté et cette violence (je reprends ces termes plusieurs fois à dessein) ne sont pas gratuites. Elles racontent quelque chose de notre société. Une part d'elle. Et pas la plus belle.
Pour finir, laissez moi vous conseiller également de passer faire un tour sur le site des Édition LC, toute jeune maison d'édition qui fait plutôt dans le livre numérique, mais qui fait aussi en livre-papier, et qui d'après ce que j'ai lu et vu publie des textes forts, très différents de la littérature qui encombre les rayons des grandes librairies. Bienvenue et bonne continuation à elle.
PS : je sais de source sûre que l'auteur sera en signature le samedi 18 mars à la librairie Agora Presse (19, rue des archives, Paris 4ème)