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Intolérable. Mémoire des extrêmes

Publié le par Yv

Intolérable. Mémoires des extrêmes, Kamal Al-Solaylee, Perspective cavalière, 2022 (traduit par Étienne Gomez)

Kamal Al-Solaylee est né à Aden au Yémen, en 1964, dernier enfant d'une fratrie de onze. Sa mère, Safia est illettrée, son père Mohamed est un magnat de l'immobilier qui parle anglais et vit bien le protectorat anglais, s'en sert même pour réussir.

1967, l'arrivée au pouvoir des révolutionnaires socialistes met fin à ces années fastes et la famille est contrainte de s'exiler, d'abord à Beyrouth où elle garde un certain niveau de vie, puis au Caire où la vie d'exilé yéménite est plus difficile. C'est là que Kamal vivra sa jeunesse et son adolescence et qu'il découvrira son homosexualité, pas facile à vivre dans des pays qui se radicalisent.

Étienne Gomez, traducteur et éditeur, a réussi à dénicher un grand livre, et c'est moi, qui ne suis pourtant point féru de mémoires, qui l'écris. Kamal Al-Solaylee est passionnant parce qu'il ne s'apitoie pas, parce son livre est un mélange savamment dosé entre géopolitique, politique, histoire personnelle et familiale, histoire de l'exil, des exils devrais-je même dire...

On assiste au changement radical des pays de son enfance et de son adolescence, le Yémen et l’Égypte, qui furent d'une grande tolérance, chacun y vivant librement sans que la religion impose ses dogmes. Kamal se souvient qu'il allait accompagner ses sœurs acheter des bikinis, qu'ils écoutaient de la musique occidentale, que sa famille profondément laïque ne pratiquait pas de religion. La première fois qu'il vit une femme voilée, ce fut une enseignante dans une école pour gens aisés, et ce voile était un signe social : celles qui en portaient étaient les femmes pauvres et non les plus favorisées. Lorsque cette enseignante essaya de convaincre des jeunes filles de se voiler, elle fut renvoyée sur pression des parents.

Puis, Kamal Al-Solaylee parle de la découverte progressive de son homosexualité dans un pays et une famille où l'on ne parlait pas de sexualité. Quelques signes arrivent : son peu d'appétence pour les jeux de garçons, une sensibilité dont ses sœurs usent pour les aider à choisir leurs vêtements, et puis des émois pour les acteurs davantage que pour les actrices... Puis, lorsqu'il comprend, à quatorze ans, il sait qu'il devra, un jour, quitter le Moyen-Orient et sa famille s'il veut vivre librement sa sexualité.

C'est un grand livre parce que l'auteur, en parlant de lui, parle de toute une période de profonds bouleversements dans les sociétés moyen-orientales mais aussi, plus globalement, dans le monde. Il est sobre, direct sans être cru, c'est même d'une grande pudeur. Nul besoin de connaître l'histoire des pays que l'auteur traverse, car en excellent journaliste, il dit tout en quelques phrases. 300 pages qui passent vite, qui instruisent et prônent tolérance et respect de chacun. Et j'aurais pu allonger ma recension tant le livre est riche et profond, mais le mieux est de le découvrir.

Si maintenant Kamal Al-Solaylee est devenu un universitaire canadien connu et reconnu, on mesure quels sacrifices, quel travail il a dû fournir pour y parvenir. Ce livre, paru en 2012, chez HarperCollins Canada, est postfacé par l'auteur dans sa version française de 2022 chez Perspective cavalière -avec cette superbe couverture signée Christophe Merlin et représentant Aden du temps du protectorat britannique-, qui parle notamment de l'accueil très difficile du livre dans sa famille retournée vivre au Yémen.

Kamal Al-Solaylee sera à Paris en octobre de cette année, le 10 au Café 61 (3 rue de l'Oise, 19e), le 13 à la librairie Le Merle Moqueur (51 rue de Bagnolet, 20e), et le 14 à l'Institut du monde arabe (1 rue des Fossés Saint-Bernard, 5e).

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