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Ajar-Paris

Publié le par Yv

Ajar-Paris, Fanta Dramé, Plon, 2022

A la mort de sa grand-mère, Fanta Dramé jeune professeure de collège se rend pour la première fois en Mauritanie, à Ajar, le village d'origine de sa famille paternelle pour la sépulture. Elle, la Parisienne jusqu'au bout des ongles est bouleversée et, à son retour, décide d'écrire le roman de son père qui a quitté Ajar pour la France en 1975 et y a construit sa vie. Yély Dramé occupa parfois plusieurs emplois, souffrit du manque de son pays, dut s'adapter aux conditions de vie parisiennes.

C'est sa vie que sa fille raconte ici, dans son premier roman, celle qu'il gardait enfouie en lui.

J'ai beaucoup aimé ce livre. Fanta Dramé a trouvé le ton juste pour raconter l'histoire de son père. Elle le bouscule jusqu'à ce qu'il cède pour répondre à ses questions, tout en gardant pour lui un respect et un amour profonds, qui, j'ai l'impression, augmentent au fur et à mesure qu'elle découvre ce que son père a enduré, ce qu'il a dû supporter pour vivre en France, un pays dont il ne connaissait presque rien, à peine la langue. Mais elle garde également une certaine insolence ou moquerie avec beaucoup de bienveillance, pour user d'un terme un peu galvaudé, sur ce père qui est parfois rigide -mais finit par céder à ses enfants ou sa femme. Il semble que chez les Dramé, la force de caractère est une qualité très largement partagée.

Et puis, plus largement que la vie de Yély Dramé, Fanta Dramé parle des gens qui quittent leurs pays pour tenter leur chance ailleurs et adopte un point de vue qui me plaît : "On a souvent tendance à décrire les gens qui partent par le résultat de leur exil, plutôt que par le point de départ, des immigrés plutôt que des émigrants, avec tout ce que le premier terme véhicule de péjoratif -ils quittent leur pays pour venir voler le travail des Français et profiter des aides sociales. On les qualifie en fonction de ce qu'ils sont en arrivant, et non pas de ce qu'ils étaient en partant. Cela permet sûrement de leur rappeler qu'ils ne sont pas d'ici, qu'ils ne le seront probablement jamais. En se gardant bien d'utiliser la même terminologie pour un Français quittant son pays pour une autre patrie." (p.74/75)

Une réussite que ce roman du père qui permet de se faire une idée "du dedans" des souffrances de l'exil, de celles d'un accueil pas toujours à la hauteur dans le pays dit des droits de l'homme, de ce sentiment difficile à surmonter de n'être plus de son pays d’origine tout en n'étant pas totalement du pays dans lequel on a fait sa vie. L'auteure raconte un peu du parcours de tous les autres, même si elle veut rester sur celui personnel et intime de son papa. Écrire sur l'un de ses parents est souvent une entrée en littérature, plus ou moins réussie ; Fanta Dramé, avec beaucoup de pudeur, de délicatesse et un brin d'humour, écrit un très bon premier roman qui donne envie de lire les prochains.

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