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Un fond de vérité

Publié le par Yv

Un fond de vérité, Zygmunt Miloszewski, Mirobole, 2015 (traduit par Kamil Barbarski).....

Teodore Szacki, ex-procureur à Varsovie a été muté à Sandomierz, une petite, ancienne et très jolie ville sur la Vistule. Fraîchement divorcé, Teodore tente de refaire sa vie à deux cents kilomètres de son ex-femme et de leur fille. Mais la vie de procureur de province est loin d'être aussi exaltante qu'à la capitale. D'autant plus que Sandomierz est une petite ville tranquille qui s'endort l'hiver et ne se réveille qu'au début de la saison touristique. C'est alors que le corps d'une femme est retrouvé devant l'ancienne synagogue vidé de son sang faisant penser à un meurtre rituel, un rite sacrificiel juif. Il n'en faut pas plus pour que les haines à peine enfouies remontent à la surface et c'est en pleine flambée d'antisémitisme que Teodore doit mener ses investigations.

Je serai bref, enfin pour commencer, parce qu'après je sens que je vais m'emballer (mais c'est possible ça d'être bref, avant de ne l'être plus ?) : j'ai beaucoup aimé Les impliqués, le précédent roman de Zygmunt Miloszewski, je réitère mon appréciation pour Un fond de vérité. Voilà, ma brièveté cesse ici-même, après je me lâche...

Bon d'abord, j'aime bien Teodore Szacki. Il est parfois insupportable, a une assez haute estime de lui-même en tant que procureur, il est beaucoup moins indulgent sur lui en tant qu'individu : 40 ans, divorcé parce qu'il a eu une liaison avec une journaliste, ne voit pas sa fille, méprise les péquenots de Sandomierz, drague et couche avec une fille sublime qu'il laisse parce qu'il la trouve injustement cruche -ça va avec son mépris des gens de cette petite ville. J'aime aussi beaucoup son côté anti-religieux, anti-dogme, le roman est truffé de perles anticléricales qui m'ont réjoui et dont je pourrais m'approprier mot pour mot. Il donne tout au travail. Il emmagasine les informations, les trie mentalement, se fait une idée la plus précise possible des faits et ensuite son cerveau procède par déclics. Il recoupe tout et certaines petites informations a priori anodines sont celles qui donnent l'ossature du raisonnement et de la résolution de l'affaire : "Jamais encore auparavant un processus mental ne s'était déroulé aussi vite dans sa tête, jamais encore autant de faits ne s'étaient assemblés en un éclair dans une suite logique et indissoluble qui ne pouvait aboutir qu'à un unique résultat. C'était une expérience à la lisière de la folie : les idées bondissaient entre les neurones à un rythme épileptique, la matière grise s'illuminait d'une couleur platine à cause du trop-plein d'informations." (p.440) J'aime bien aussi les liens qu'il peut tisser avec les autres protagonistes, collègues, flics, témoins, même les troisièmes rôles ont la faveur d'une ou deux pages pour décrire leurs vies et la manière d'arriver dans cette histoire. Certaines descriptions sont rapides et très visuelles : "Il était grand et très maigre. Sous son blouson épais et son écharpe, il devait ressembler à une gousse de vanille : mince mou et fripé." (p.36)

Ensuite, il y a l'intrigue, la recherche du ou des coupables menée par un procureur volontaire et désireux de montrer qui il est. Toutes les pistes sont explorées, même celles qui déboucheront sur une impasse : le travail minutieux des enquêteurs, chaque victime est auscultée et l'on sait quasiment tout de sa vie. L'enquête est lente, entrecoupée par les problèmes familiaux ou de cœur du procureur, on s'en imprègne en douceur, on peut même se laisser berner, ce qui est réjouissant dans un roman policier. Parce qu'il nous emmène où il veut Zygmunt Miloszewski. Il écrit bien, c'est limpide, ça va au plus court et même si le livre fait 470 pages, j'ai eu l'impression qu'aucun mot n'était de trop.

Enfin, il y a le contexte historique : la Pologne a un gros souci avec les juifs, auxquels elle reproche parfois tous les maux. A Sandomierz, ils sont accusés de meurtres rituels d'enfants qu'ils enlevaient et vidaient de leur sang. D'ailleurs, une toile de Charles (Karol) de Prévot représentant ces meurtres se trouve dans la cathédrale de la ville ; elle a longtemps été cachée (en cliquant sur le nom du peintre, vous pourrez la voir). Le passif entre Polonais et juifs est lourd, entre les ghettos pendant la guerre, l'extermination et le refus du pouvoir d'après-guerre de restituer les biens confisqués ; beaucoup de juifs rescapés furent des résistants et mirent en place le régime communiste ce qui leur fut reproché même vingt ans plus tard, en 1968 où beaucoup émigrèrent. C'est donc dans cette ambiance houleuse que Zygmunt Miloszewski place son récit, avec la montée des nationalistes qui profitent du moindre fait divers pour hurler leur haine. Teodore Szacki, malgré quelques maladresses ne se laisse pas détourner de son chemin, la recherche de la vérité, il laisse dire, n'en pense pas moins : "Il lui aurait fallu répondre sincèrement que n'importe quelle tentative de juger des personnes selon leur appartenance à un groupe national, ethnique ou religieux, lui était complètement insupportable. Et, il en était persuadé, chaque pogrom avait trouvé sa source dans une discussion modérée à propos d'une "certaine réserve"" (p.159)

Une très belle série qui commence avec ces deux romans ; ne tardez pas pour la débuter. Les charmantes éditrices -je le sais, je les ai vues- de chez Mirobole ont eu la main très heureuse en la mettant sur Zygmunt Miloszewski que je relirai avec plaisir et impatience et vice-versa.

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A
Terminé hier soir et encore plus aimé que "Les impliqués" ! Article à venir...
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Y
Excellente série qui en plus change des polars habituels... La Pologne est rarement le contexte de ce genre de romans
A
J'avais beaucoup aimé le premier également. Alors je note !
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Y
le deuxième, tu devrais l'aimer aussi
A
Je constate effectivement que tu as fait court ;-) ! Je viens de terminer "Les impliqués", je vais me jeter sur celui-ci !!!
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Z
Je n'en reviens pas, il est à la bibliothèque, tu penses si je l'ai retenu de suite. C'est bien pratique internet !!
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Y
Il y a des bibliothèques réactives. Bonne lecture
S
Oups! C'est déjà dit. Sorry /)
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Y
Je t'en prie ça m'arrive aussi de parler un peu trop vite
S
On lui devait déjà "Les impliqués" qui avait eu de succès
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Y
Oui c'est une belle série
S
On en parle beaucoup de celui-là!
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Y
A raison
K
Rien à la bibli, un vrai scandale! ^_^
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Y
Manifeste avec ta banderole... On veut Zygmunt !
A
Il est arrivé à la bibliothèque, je vais m'empresser de le réserver.
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Y
Ah oui, empresse toi, tu ne regretteras pas. Promis