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Troisièmes noces

Publié le par Yv

Troisièmes noces, Tom Lanoye, La Différence, 2014 ..... (traduit par Alain van Crugten)

Maarten est un homosexuel cinquantenaire qui ne se remet pas de la mort de son compagnon, Gaëtan, quatre ans plus tôt. Lui-même est très malade, au chômage, aussi lorsqu'un homme lui propose, moyennant finances, de faire un mariage blanc avec Tamara une jeune femme noire, après moult hésitations, il accepte. Commence alors une cohabitation pas simple, compliquée par la présence et les questions des enquêteurs chargés de savoir si le mariage est un vrai ou une manœuvre pour régulariser Tamara. 

Maarten est un homme revenu de tout, désabusé qui n'a plus foi en rien et qui ne se remet pas de la mort de Gaëtan qu'il a accompagné jusqu'au bout. Ce livre est le récit de sa nouvelle vie avec Tamara, avec de très nombreux retours sur sa vie avec Gaëtan. Ce n'est pas un livre fondamentalement joyeux, mais Tom Lanoye manie autant et aussi bien le cynisme que la mélancolie, ou encore le réalisme et l'humour : "Ils [les voisins mormons] nous regardaient avec mépris, Gaëtan et moi, ils tenaient leur chien étroitement en laisse et ils se plaignaient quotidiennement chez l'épicier de la présence d'un dangereux pédophile à côté de leur porte. Ou plutôt, de deux pédophiles. Jusqu'au jour où ils ont vu l'épicier faire un French kiss à son petit ami derrière le comptoir des primeurs. Ce n'est pas pour rien que j'habite le quartier le plus hype de la ville. La hypetitude d'un quartier se mesure à l'aune des préférences sexuelles de ses épiciers." (p. 51/52). A noter également que la scène du "oui" à l'église et du baiser après l'échange des consentements est irrésistible de drôlerie : les hésitations du futur marié entrecoupées de souvenirs et l’impatience de la jeune épousée.

Malgré sa misanthropie, Maarten va devoir habiter avec Tamara qui abandonne sa timidité pour s'imposer dans la maison. Petit à petit, en des pages magnifiques, chacun s'apprivoise, découvre l'autre et se dévoile, pudique ou impudique, met à nu ses peurs, ses faiblesses, ses angoisses, ses forces. Dans un premier temps, c'est Maarten qui se montre, puis il apprend à découvrir Tamara, peut-être pas si faible et victime qu'elle veut bien le montrer. 

Ce qu’il y a de formidable dans ce livre, c’est que Tom Lanoye ne se censure pas, il aborde toutes les questions existentielles : la naissance -la mère de Maarten est morte en couches-, la filiation, l'homosexualité -la vie au quotidien la perception par les hétéros-, l'amour, la mort, très présente par celle de Gaëtan et la maladie de Maarten. Il parle aussi de racisme, d’acceptation d’autrui, du repli sur soi, de la recherche d’identité, de la culture et de sa globalisation, de son étêtement à cause des émissions ou séries télévisées dont on nous abreuve : "Le tissu de saloperies les plus prévisibles sorti des fabriques à fables des faiseurs de fric anglo-saxons, qui exterminent tout talent comme un éleveur de volaille éradique à titre préventif, avec des tonnes d'antibiotiques, la pneumonie aviaire chez son gagne-pain caquetant. Toute vie doit en être éliminée ! Tout ce qui n'est pas naturel, peu agréable, inexorablement tragique, fragmentaire, fantastique, désespérément compliqué ou sortant de l'ordinaire -disons carrément toute authenticité et tout risque- doit être noyé dans le sirupeux et le pleurnichard, en formats fixes rassurants et en schémas sans aucun fond de spiritualité." (p. 226) Un extrait qui me fait penser à certaines tirades de Pierre Desproges, dans le ton et le fond.

Je découvre avec ce roman formidable (écrit en 2006) l’écriture de Tom Lanoye, qui peut être légère, poétique, violente et crue ; il varie les niveaux de langage, alterne de belles phrases travaillées avec des plus courtes, plus punchies, qui peuvent choquer ; certains propos sont bruts, mais toujours magistralement écrits (donc traduits). L’auteur ne fait pas dans le politiquement correct, et ça fait un bien fou, il critique la société belge, puisqu’il est Flamand, mais, en tant que proches voisins, on peut se sentir concernés à raison.  Lire Tom Lanoye n’est pas un acte de tout repos, ça remue et ça interpelle. Ses personnages sont attachants, fort bien décrits, profonds et tourmentés, réalistes ; ils sont de ceux qui restent un peu –ou beaucoup- en nous lecteurs pendant de longs moments après les avoir quittés à regret.

 

 

rentrée 2014

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M
Idem ! Le sujet , et son traitement après ce que tu en dis, m'intrigue ...<br /> Et puis ça nous sort de la rentrée littéraire , mmm...
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Y
<br /> <br /> Encore qu'en France il puisse sans doute être considéré de la rentrée littéraire, puisque traduit pour la première fois... enfin, je pense<br /> <br /> <br /> <br />
E
Je ne connais pas cet auteur, je le note donc avec plaisir.
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Y
<br /> <br /> il a plusieurs titres à son palmarès<br /> <br /> <br /> <br />
G
Décidément, que des bonnes pioches ou presque chez toi! C'est la tentation permanente ici! ;-)
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Y
<br /> <br /> Presque, tu as raison, il y en a quelques uns qui ne m'ont pas plus, passés et à venir, mais dans l'ensemble, je suis bon public<br /> <br /> <br /> <br />
A
Une écriture qui n'a pas vieillit, donc.
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Y
<br /> <br /> Effectivement<br /> <br /> <br /> <br />
P
Je ne connaissais Tom Lanoye que pour ses collaboration avec Guy Cassiers au théâtre, mais j'ignorais qu'il était romancier... Le sujet de ce roman me plaît pas mal et ça semble très touchant :<br /> j'essaierai de le trouver à l'occasion !
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Y
<br /> <br /> Tu avais un train d'avance sur moi, parce que je ne le connaissais pas du tout, mais là, j'ai très envie d'aller plus loin<br /> <br /> <br /> <br />
C
Salut Yves<br /> Un thème sympathique puisqu'il semble décomplexé face aux idéaux réacs encore très présents. Amitiés.
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Y
<br /> <br /> Salut Claude, oui, Tom Lanoye s'empare de thèmes chauds et n'hésite pas à y aller franchement, et c'est vraiment réjouissant<br /> <br /> <br /> Amicalement,<br /> <br /> <br /> <br />
A
J'ai déjà lu quelque part le premier extrait que tu cites, que j'ai trouvé excellent. Tu me donnes envie d'essayer cette lecture.
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Y
<br /> <br /> Sans doute sur facebook, je n'avais pas pu résister et l'avais posté il y a quelques jours...<br /> <br /> <br /> <br />