Regarde les lumières mon amour
Regarde les lumières mon amour, Annie Ernaux, Seuil, 2014....
Annie Ernaux fréquente depuis longtemps le centre commercial des Trois-Fontaines de Cergy. Pendant une année, elle décide de tenir le journal de ses visites. On découvre alors un autre visage de la grande surface, celui des rencontres humaines au-delà des actes de consommations quotidiens.
Ce n'est pas un guide pour savoir se conduire dans une grande surface, ni un reportage à l'intérieur d'un grand magasin pour en découvrir les arcanes. Aucune remarque sur les pratiques marchandes parfois douteuses de la profession. En tant que tel, on ne lit rien de vraiment nouveau pour peu qu'on fréquente les hypermarchés. Annie Ernaux écrit son journal comme chacun d'entre nous consommateur pourrait le faire, mais elle se focalise sur l'humain, sur la clientèle, sa manière de se mouvoir, de se saisir d'un objet, de se parler, de rester dubitatif devant une offre commerciale ou un trop grand choix de denrées. Le centre commercial des Trois-Fontaines est le plus grand du Val-d'Oise, très fréquenté, on peut y accéder par quasiment tous les moyens de transport possibles (RER, à pieds, par l'autoroute, ....), il offre également une amplitude horaire d'ouverture très large, tout cela facilitant une forte fréquentation.
Annie Ernaux décrit ses visites au Trois-Fontaines, on frise le quotidien, le banal, mais toujours une réflexion ressort qui élève la stricte description de la liste des courses. C'est par exemple le questionnement sur le fait d'écrire "Une femme noire en longue robe à fleurs...", est-ce important de préciser la couleur de sa peau ou juste le fait qu'elle soit femme : "Je suis devant un choix qui, singulièrement aujourd'hui, engage la lecture qui sera faite de ce journal." (p.21) ; ou alors cette autre réflexion lorsque l'auteure se retrouve à faire ses courses un soir après 20 heures et que les allées du centre commercial sont fréquentées par des étudiants ou des "femmes en longues robes et voiles amples toujours accompagnées d'un homme.", des gens chics que l'on ne voit pas en journée se mélanger aux 130 nationalités que compte Cergy, alors Annie Ernaux conclut son paragraphe : "Depuis quinze ans, ce n'est pas la présence des "minorités visibles" que je remarque dans un lieu, c'est leur absence." (p.38) Dire que c'est l'absence des différences qui marque me plaît particulièrement surtout en ces moments ou la peur et la haine des autres montent un peu partout dans le monde ; on ne s'enrichit que dans le métissage et dans la connaissance d'autrui.
J'avais lu ici ou là pas mal d'articles sur ce livre, parfois enthousiastes, parfois beaucoup moins : babelio, libfly, je rajoute donc mon grain de sel, très favorable (j'ai toujours un a priori positif pour les livres d'Annie Ernaux) et je conclus en comblant le souhait de l'auteure qui, sortant du rayon culturel pour se diriger vers les caisses se pose la question de l'achat du livre en grande surface : "Après tout, déposer un livre sur le tapis de la caisse me gêne toujours, comme un sacrilège. Je serais pourtant heureuse d'y voir un des miens, extirpé d'un caddie, glisser entre une plaquette de beurre et des collants." (p. 62) ; je ne peux confirmer pour les collants, mais le beurre et Regarde les lumières mon amour étaient bien, il y a quelques mois sur le tapis de la caisse du Super U que je visite régulièrement (le beurre est fini depuis longtemps, heureusement, le livre tout juste il y a quelques jours, mais il n'a pas de date de péremption...)
NB : achat effectué avant que la nouvelle librairie de ma commune n'ouvre, maintenant, j'achète mes livres uniquement dans ce petit commerce.