Où on va, papa ?

Où on va, papa ?, Jean-Louis Fournier, Stock, 2008
Jean-Louis Fournier est célèbre pour avoir longtemps collaboré avec Pierre Desproges. Il a aussi beaucoup écrit, des livres drôles et impertinents souvent. Il est aussi à l'origine du personnage de La Noiraude. Il a écrit un très joli livre sur son père, médecin de campagne, porté dur la bouteille : Il a jamais tué personne, mon papa dont je vous recommande la lecture. Dans Où on va, papa, il parle de ses deux garçons, handicapés mentaux avec qui la vie n'a pas été toujours très facile. Longtemps cachés, il a décidé d'en parler, mais à sa manière, en riant d'eux, grâce à eux et si possible avec eux.
Jean-Louis Fournier est toujours entre l'humour, la dérision et la larme qui coule :
"Matthieu n'arrive pas à se redresser. Il manque de tonus musculaire, il est mou comme une poupée de chiffon. Comment va-t-il évoluer ? Comment sera-t-il quand il sera grand ? On va devoir lui mettre un tuteur ?
J'ai pensé qu'il pourrait être garagiste. Mais garagiste allongé. Ceux qui réparent le dessous des voitures dans les garages où il n'y a pas de pont élévateur." (p.23)
Jean-Louis Fournier rigole de tout, mais pas avec n'importe qui comme le disait justement Pierre Desproges : pour rire avec lui, il faut accepter qu'il puisse dire des choses fortes et dérangeantes. Le nombre de fois où il a pensé à l'infanticide, à la disparition inopinée et peut-être pas si inespérée de ses deux fils, à un accident fortuit mais libérateur, au suicide. Qui pourrait lui reprocher d'écrire aujourd'hui ses pensées les plus viles, celles qui passent par la tête ne serait-ce que le temps d'une petite seconde -ou d'une grande d'ailleurs ? J-L Fournier revendique le droit de rire des ses garçons :
"Comme Cyrano de Bergerac qui choisissait de se moquer lui-même de son nez, je me moque moi-même de mes enfants. C'est mon privilège de père." (p.40)
Évidemment, la frontière entre le rire et la vulgarité est ténue, mais le père ne la franchit jamais. On ressent à le lire toute la tendresse qu'il a pour Thomas et Matthieu, malgré l'énervement et l'éloignement qui furent les siens parfois. Malgré la déception de ne pouvoir partager avec eux son amour de la musique, de la littérature, de la peinture, ... Malgré la déception de ne partager que les "Où on va, papa ?" de Thomas dès qu'il monte en voiture et qu'il répète inlassablement tout au long des trajets. Des déceptions qui l'ont probablement conduit à voir ses enfants pire qu'ils n'étaient en réalité, si j'en juge par les réactions de la maman de Thomas et Matthieu. Sur son site -le premier qui s'appelait Où on va, maman, fut interdit par l'auteur et l'éditeur-, elle explique son point de vue, montre des photos des enfants et explique que pour elle, le livre de son ex-mari est un roman qui prend pour base la caricature des deux garçons. Je ne reviendrai pas sur la querelle entre les deux parents, mais confronter les deux avis est intéressant. On sent dans les propos de la maman, un réel et fort attachement pour ses enfants différents, alors que le papa avoue avoir eu beaucoup de mal avec le lien filial. Pour plus de détails, c'est ici.
Souvent très drôles, les anecdotes sont entrecoupées de passages nettement plus tristes et de réflexions plus intimes:
"Il ne faut pas croire que la mort d'un enfant handicapé est moins triste. C'est aussi triste que la mort d'un enfant normal.
Elle est terrible la mort de celui qui n'a jamais été heureux, celui qui est venu faire un petit tour sur terre seulement pour souffrir.
De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d'un sourire" (p.90)
En fait, J-L Fournier parle de ses garçons anormaux -il n'aime pas le mot handicapé- de la même manière qu'il parlerait d'eux s'ils étaient normaux. C'est en cela que son livre est sain, profond et malgré une présentation de Thomas et de Matthieu, malgré une introspection personnelle, malgré un humour ravageur et totalement politiquement incorrect, absolument pudique.
Livre qui a reçu le prix Fémina 2008 et qui a été beaucoup lu et chroniqué sur les blogs : plusieurs critiques chez Babelio.