Le meilleur des jours , Yassaman Montazami, Éd. Sabine Wespieser, 2012
Au travers d'anecdotes, Yassaman Montazani essaie de dresser le portrait de son père récemment disparu. Celui-ci, prénommé Behrouz, ce qui en persan, signifie le meilleur des jours, est né en Iran, est venu en France pour ses études, a participé de loin à la chute du Shah mais n'est pas retourné ensuite dans son pays, car le régime devenait une république islamique. Lui, le marxiste, très épris de liberté ne pouvait donc se soumettre aux lois coraniques. Il y retournera tout de même lorsque le régime s'assouplira avec l'élection d'un président modéré avant de revenir mourir en France.
C'est un très beau portrait d'un homme très attachant. Procrastinateur hors pair voire pire, car comme chacun le sait, le procrastinateur est celui qui remet toujours au lendemain ; lui, il faisait mieux, il ne faisait pas. La devise de feu mon papa à moi (qu'il n'a pas pu, à son grand regret, suffisamment expérimenter) et qui colle parfaitement à Behrouz était : "Ne fais jamais aujourd'hui, ce qu'un autre pourra faire à ta place demain." Pas mal, n'est-il pas ? Je tente modestement de parvenir à l'appliquer. J'y réussis parfois.
La comparaison s'arrête ici, car Behrouz était un intellectuel pur, un théoricien qui accueillait chez lui, à Paris, des réfugiés iraniens de toute sorte (mon papa était un ancien instituteur devenu ouvrier par les aléas de la vie). Entre autres, une fanatique d'Autant en emporte le vent , femme d'un colonel en prison qui est tellement naïve et pas en phase avec la vraie vie, elle qui a vécu dans un monde irréel baigné d'argent, qui est à son insu très drôle lorsqu'elle est au sommet de sa réussite sociale, puis qui devient touchante lorsqu'elle est au fond du trou, exilée politique.
Yassaman Montazami a grandi avec des personnages hors norme autour d'elle, sa mère par exemple, "Zâhra [qui] présentait cette singularité de n'être pas concernée par le sentiment amoureux, comme si la nature l'en avait préservée. A l'instar de ces êtres auxquels il manque certains chromosomes, l'hérédité l'avait privée des gênes de l'attachement. Aussi les hommes ne l'intéressaient-ils pas plus que les insectes volants dont elle eût suivi du regard les circonvolutions aériennes, avant que de les chasser d'un revers de la main, agacée qu'ils tournoient autour d'elle. Son coeur était une mer étale, que la houle d'aucune passion ne troublerait jamais." (p.26)
Très bien écrit, ce texte oscille entre la tendresse, l'amour d'une fille envers son père, la drôlerie de celui-ci qui ne recule devant aucune fanfaronnerie dût-elle lui coûter cher. Un portrait d'un homme qu'on aimerait rencontrer. Romancé comme le dit l'auteure dans une vidéo (clic ). Mais tous les livres écrits sur les parents ne le sont-ils pas, vus par le prisme de l'enfant ? Un exercice classique, pas toujours maîtrisé par tous. Yassaman Montazani s'en sort très joliment grâce à son écriture et à son sujet particulièrement apte à être dans un roman, et grâce à la construction de son livre, en petits chapitres qui alternent les derniers moments de la vie de Behrouz et ses instants précédents. De la naissance à la mort, sans être pesant. Au contraire.